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Appartient au dossier : Dans la bulle de Posy Simmonds

Dans la bulle de Posy Simmonds #1 : la littérature jeunesse

Renommée pour ses romans graphiques et sa collaboration de longue date avec The Guardian, Posy Simmonds a aussi écrit et illustré plusieurs albums pour enfants. Les références à l’édition jeunesse sont d’ailleurs récurrentes dans l’ensemble de son œuvre. Balises revient sur cet univers graphique et littéraire pour accompagner l’exposition « Posy Simmonds. Dessiner la littérature », organisée par la Bpi du 22 novembre 2023 au 1er avril 2024.

Dans un cocktail littéraire, deux lapins discutent, un verre de vin à la main. Le premier demande : « Et comment avez-vous démarré dans l'édition jeunesse ? ». Le second lui répond : « Oh, c'est de famille… Mon grand-père bossait chez Beatrix Potter… ».
Posy Simmonds, Literary Life (2014) © Denoël Graphic

Le travail de Posy Simmonds trouve une inspiration précoce dans les comics dévorés durant son enfance, comme le souligne son biographe Paul Gravett :

Elle lisait tout. Elle débuta par les classiques pour tout-petits, Playbox, The Rainbow, Chick’s Own, dont elle déchiffrait goulûment les légendes typographiées sous les images. Au début des années 50, ses frères et elle furent en âge de passer aux Beano, Dandy et autres Topper, dont les pages abritaient les élans déjantés d’artistes tels que Davey Law, Leo Baxendale ou Ken Reid, puis d’embarquer sur les nouveaux hebdos Eagle, Girl, Robin et Swift, plus intelligents, à la photogravure plus soignée, ou les vieux magazines pour filles School Friend et Girls’ Crystal, fraîchement convertis à la BD.

Paul Gravett, So British ! L’Art de Posy Simmonds, traduit par Jean-Luc Fromental, Denoël Graphic, 2019, p. 16.

Par l’intermédiaire de camarades de classe étasunien·nes, la jeune Posy Simmonds découvre aussi les publications nord-américaines – des comic books, comme Superman ou Sad Sack, et des strips publiés dans la presse, comme Blondie, Krazy Kat ou Dick Tracy.

Elle se familiarise ainsi avec les codes de la bande dessinée et des récits pour enfants, ce qui la conduit à imaginer, dès l’âge de huit ans, de premiers strips aux titres sensationnels – « Bullet Vengeance » (Vengeance par balle), « The Red Dagger » (Le Poignard rouge)… Des années plus tard, cette influence se retrouve dans les albums pour enfants réalisés par Posy Simmonds, devenue adulte. Les pages de La Fabuleuse Vie secrète de Fred (1987, traduit en français en 2014), Lulu et les bébés volants (1988) et Le Buffle en colère (1994) sont par exemple composées de cases et de bulles, qui les rapprochent d’une bande dessinée.

Des albums pour la jeunesse

Posy Simmonds signe une dizaine d’albums pour enfants entre la fin des années 1980 et le début des années 2000. Elle intervient d’abord comme illustratrice, pour des recueils de poésie enfantine de Kit Wright – Rabbiting On (1978), Hot Dog and Other Poems (1981)… – et pour The Captain Hook Affair d’Humphrey Carpenter (1979). Elle livre alors sa version de plusieurs figures célèbres de la littérature jeunesse, comme le Capitaine Crochet de J. M. Barrie ou les personnages d’Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, d’abord dessinés par John Tenniel. Posy Simmonds revisite aussi des récits d’Hilaire Belloc dans Matilda, l’horrible petite menteuse… (1991), aux illustrations inspirées de l’univers macabre de Chas Addams, et dans Cautionary Tales and Other Verses (1997).

Des chats vêtus de costumes sombres et chapeaux, des fleurs à la main, se rassemblent de nuit dans un jardin.
Fred, 1987 © Posy Simmonds

En parallèle, Posy Simmonds s’attaque elle-même à l’écriture pour la jeunesse. La Fabuleuse Vie secrète de Fred est le premier album dont elle signe à la fois le récit et les illustrations. C’est aussi le plus large projet qu’elle entreprend depuis son roman graphique True Love (1981, traduit en 2023), et le premier dans lequel elle mène un tel travail sur la couleur. Ce livre de trente-deux pages suit les aventures nocturnes de deux enfants qui, au lendemain de la mort de leur chat, découvrent que celui-ci menait une double vie – félin paresseux le jour, star du rock la nuit. Posy Simmonds adopte une trame similaire dans Le Buffle en colère (1994) : alors que le soir tombe dans une boutique d’antiquités, les animaux empaillés prennent vie et viennent en aide aux enfants des propriétaires, au bord de la faillite.

Dans ses deux albums plus récents, les animaux deviennent les uniques héros : Lavender (2003, non traduit) met en scène une petite lapine surmontant sa peur des renard·es, tandis que Le Chat du boulanger (2004, traduit en 2005) voit un félin s’allier à des souris pour duper les humain·es propriétaires de la boutique. À travers ces ouvrages pour enfants, Posy Simmonds s’essaye à une variété de techniques – encre, crayon de couleur, gouache… – et parfait son sens du récit, qui fera ensuite tout le succès de ses romans graphiques.

Des références littéraires

Les publications pour enfants de Posy Simmonds rappellent plusieurs classiques de la littérature britannique pour la jeunesse. Ses jeunes personnages projetés dans un monde d’animaux parlants évoquent l’héroïne de Lewis Carroll, tandis que sa mise en scène de félins fait songer à la série d’albums Orlando (the Marmalade Cat) de Kathleen Hale. Plus encore, les albums de Posy Simmonds trouvent un précédent dans les contes illustrés de Beatrix Potter, qui abordent eux aussi des thématiques graves – la violence et la mort, notamment –, sous couvert d’histoires de lapin·es, renard·es et souris doté·es de parole et vêtu·es de charmants costumes. La lecture de ces contes constitue, pour Posy Simmonds, un souvenir de jeunesse important et fréquemment cité.

Une oie, vêtue d'une cape et d'un vieux bonnet noué autour du cou, discute avec un renard vêtu d'une élégante tenue de chasse.
Beatrix Potter, The Tale of Jemima Puddle-Duck [Le Conte de Sophie Canétang], 1908. Domaine public via Wikimedia Commons

De nombreux parallèles, plus ou moins intentionnels, émergent d’ailleurs entre son œuvre et celle de l’écrivaine du début du 20e siècle : les renard·es carnivores de Lavender rappellent par exemple celui du Conte de Sophie Canétang. Beatrix Potter et Posy Simmonds ont aussi en commun un certain art de la satire, qu’elles dirigent notamment vers les mœurs de village – la première dans Le Pâté à la souris, la seconde dans Gemma Bovery (1999, traduit en 2000) et Tamara Drewe (2007, traduit en 2008). Enfin, les deux autrices apprécient les références artistiques et littéraires. La crédulité de Sophie Canétang n’est pas sans rappeler celle de Lydia Bennet dans Orgueil et préjugés, de Jane Austen, et les héroïnes des romans graphiques de Posy Simmonds sont, elles aussi, inspirées de classiques de la littérature française et britannique. Les clins d’œil à l’histoire de l’art, qui fourmillent dans l’œuvre de Posy Simmonds, se retrouvent ponctuellement chez Beatrix Potter : un dessin de Pierrot Lapin évoque, selon la biographe Margaret Lane, un célèbre tableau d’Anna Lea Merritt, tandis la petite souris du Tailleur de Gloucester se retrouve affublée d’un costume de John Everett Millais.

Au-delà de ces références mobilisées dans ses propres albums pour enfants, les évocations de la littérature jeunesse abondent également dans le reste de l’œuvre de Posy Simmonds. En 1969 est publié son premier ouvrage, The Posy Simmonds Bear Book, vite décliné en dessins quotidiens pour le journal The Sun et prolongé par d’autres recueils – Bear by Posy en 1974 et More Bear by Posy en 1975. Posy Simmonds y met en scène des animaux anthropomorphes, caractéristiques de la littérature pour enfants. Néanmoins, l’ours et le lapin se révèlent ici obsédés par une poupée aux formes voluptueuses. Tout l’humour de cette série repose donc sur un décalage entre la naïveté apparente des protagonistes et leurs propos aux sous-entendus salaces.

Les strips que Posy Simmonds réalise pour The Guardian débutent, eux aussi, par une référence aux publications pour la jeunesse. « The Silent Three of St Botolph’s », lancé en mai 1977, s’inspire des détectives de pensionnat de School Friend, un magazine de BD pour jeunes filles que lisait Posy Simmonds dans son enfance. Elle reprend l’idée d’un trio d’enquêtrices réunies en société secrète, mais transpose les trois héroïnes à l’âge adulte. 

Plongée dans l’édition jeunesse

Après quelques mois, Posy Simmonds abandonne la trame initiale pour se concentrer sur la vie de mère et d’épouse des trois héroïnes. Dans le même temps, elle s’empare de l’édition jeunesse comme d’un milieu professionnel à explorer dans ses strips : Wendy Weber, l’une des protagonistes, est une ancienne infirmière devenue autrice de livres pour enfants. Elle s’interroge sur les stéréotypes véhiculés par les albums lus à son fils, sur la réécriture de ses propres textes par des éditeur·rices attentif·ves aux goûts du marché, ou encore sur le sens profond des contes de Beatrix Potter, que des collègues de son mari universitaire l’invitent à suranalyser : « – Certain·es pourraient préférer ses allégories plus sombres… Monsieur Tod… Samuel le Moustachu… ou Noisette l’écureuil comme étude de la menace extérieure… paranoïa… – Oui… Je veux dire, prenez la place de Canétang dans le Pottertexte… ». Tous ces personnages évoluent dans un univers fourmillant de références visuelles à l’histoire de l’art et de l’illustration, parmi lesquelles se retrouvent par exemple un portrait de Pierrot Lapin accroché au mur, ou un chat ressemblant étrangement à celui d’Alice au pays des merveilles.

Par la suite, Posy Simmonds poursuit sa réflexion sur l’édition jeunesse avec une série de strips réalisés pour le supplément littéraire du Guardian entre 2002 et 2005, puis rassemblés en français dans Literary Life (2014). Plusieurs épisodes, peuplés de lapin·es en costume et d’ours·es en tablier à pois, font référence à des livres pour enfants – dont ceux de l’incontournable Beatrix Potter – et s’amusent des déboires de leurs auteur·rices :

« – Vous faites un livre par an ! … Traduit en 20 langues… avec des billions d’exemplaires vendus dans le monde !!? Pourquoi n’en ai-je jamais entendu parler ?!

– Eh bien, j’écris des livres pour enfants.

– Oh… Oh, comme c’est drôle ! Vous arrive-t-il d’écrire des trucs sérieux ? ».

Posy Simmonds, Literary Life. Scènes de la vie littéraire, traduit par Corinne Julve et Lili Sztajn, Denoël Graphic / Gallimard, collection Folio, 2015, p. 39.

Publié le 06/11/2023 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

La Fabuleuse Vie secrète de Fred

Posy Simmonds
Sarbacane, 2014

Aujourd’hui, Fred est mort. La jeune Sophie et son petit frère Nick pleurent la disparition de leur chat, enterré au fond du jardin. La nuit venue, iels découvrent avec stupeur des dizaines de félins rassemblés sous leurs fenêtres, en hommage au disparu. Et pour cause : matou paresseux le jour, le regretté Fred était aussi une star du rock, adulé chaque nuit par les animaux du quartier.

Lavender

Posy Simmonds
Jonathan Cape, 2003

Alors que ses frères et sœurs aiment monter aux arbres et courir dans tous les sens, la timide Lavender préfère lire et dessiner. Mais cette vie tranquille est bouleversée par l’arrivée d’une famille de renard·es citadin·es, venu·es passer le week-end à la campagne. Si les autres lapin·es se joignent vite à la fête, et partagent avec délectation leur pique-nique à base de pizzas et de donuts, Lavender, elle, se méfie de ces nouveaux venu·es…

Le Chat du boulanger

Posy Simmonds
Casterman, 2005

Le chat du boulanger croule sous le travail : son maître, méchant et avare, l’oblige chaque jour à confectionner moult pains et pâtisseries, à faire la vaisselle et à nettoyer la boutique. La nuit venue, le pauvre félin n’est pas au bout de ses peines, puisqu’il doit encore attraper des souris pour mériter un maigre repas. Jusqu’au jour où les petits rongeurs lui proposent un marché…

So British ! L'Art de Posy Simmonds

Paul Gravett
Denoël Graphic, 2019

Le critique de bande dessinée Paul Gravett propose ici la première biographie de Posy Simmonds. Suivant un fil chronologique, l’ouvrage revient sur l’enfance et la formation de l’autrice et dessinatrice, avant d’aborder l’ensemble de sa carrière – de ses premiers dessins de presse jusqu’à ses romans graphiques, en passant par ses albums pour la jeunesse. L’ensemble est illustré de nombreuses planches offrant un bel aperçu de l’œuvre de Posy Simmonds, y compris de ses publications non traduites et inédites en France.

À la Bpi, niveau 3, 767 SIM

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