Décrypter un croquis d’audience
Entretien avec Noëlle Herrenschmidt

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Comment êtes-vous devenue dessinatrice d’audience ?

Presque par hasard, grâce à ma carte de presse – j’ai d’abord travaillé comme pigiste. Début 1987, je suis entrée dans une salle d’assises du Palais de justice de Paris, en pensant pouvoir y dessiner quelque chose. Un choc énorme : j’ai réalisé que je voulais en faire mon métier. Quelques semaines plus tard, je me suis rendue à Lyon et j’ai dessiné le procès de Klaus Barbie pour le journal La Croix. À l’époque, je travaillais à la plume et à l’encre de Chine, en noir et blanc. Mon approche a changé avec le procès de Paul Touvier en 1994, et surtout avec celui de Maurice Papon en 1998, qui a duré six mois et m’a permis de tout affiner. Après, ça roulait tout seul, et j’ai couvert le procès du sang contaminé, le procès Dumas, le procès Clearstream, pour le journal Le Monde avec Pascale Robert-Diard, qui est une chroniqueuse judiciaire que j’admire énormément. Dernièrement, j’ai suivi le procès des attentats du 13 novembre 2015.

Quel est votre matériel ?

Depuis les années 1990, je travaille à l’aquarelle. Je porte à chaque audience un gilet de travail à dix-huit poches : je transporte tout sur moi – mes papiers, mes pinceaux, mes crayons, ma gomme, mes bouteilles d’eau… –, si bien que je suis autonome, je n’embête personne. En plus, je suis gauchère, mais comme je suis allée à l’école à la fin des années 1940, j’ai appris à écrire de la main droite. Je peux donc travailler des deux mains, dessiner et prendre des notes en même temps. Le ou la dessinateur·rice d’audience doit être présent·e jour après jour, mais transparent·e : il faut se faire discret·ète pour ne pas perturber l’audience et de ne pas déranger les autres journalistes.

Pourquoi avez-vous souhaité assister au procès des attentats du 13 novembre 2015 ?

Au départ, en septembre 2021, je ne savais pas du tout ce que j’allais faire, seulement que je devais le faire. C’est aussi ce que j’aime dans ce métier : je ne sais pas ce qu’il va se passer, mais j’y vais. Pendant dix mois, j’ai vécu totalement dans ce procès. J’ai assisté à toutes les audiences. On m’a proposé un pied-à-terre à proximité du Palais de justice de Paris, pour éviter les allers-retours. Je plonge de la même façon dans tous les boulots que je fais. Quand j’ai travaillé sur l’hôpital, sur la prison ou sur le Vatican, j’ai insisté pour dormir sur place. J’essaye toujours de rencontrer des gens, de réaliser des entretiens en plus des dessins, et c’est beaucoup plus facile lorsqu’on se côtoie tout le temps. Je ne peux faire les choses qu’en profondeur ; c’est, pour moi, la meilleure manière de comprendre.

À l’issue du procès des attentats du 13-Novembre, j’ai finalement rassemblé mes dessins dans un livre publié aux éditions de La Martinière, avec lesquelles j’avais déjà travaillé. Avec Arthur Dénouveaux et Antoine Garapon, nous y avons ajouté des citations des avocat·es et magistrat·es, mais surtout des extraits des témoignages de victimes. Je crois qu’il faut avoir le courage de lire ces textes, qui sont d’exceptionnelles leçons de vie : ce sont des personnes qui ont réussi à survivre et décidé d’être de nouveau elles-mêmes.

Comment avez-vous vécu ce procès ?

Pour exercer ce métier, il faut, je crois, se laisser complètement prendre par ce qu’on se vit, se laisser aller, ne pas faire de projet, même à l’échelle d’un dessin. Un jour, je m’étais mis en tête de dessiner toute la salle d’audience. J’ai donc commencé à installer le décor, et à ce moment-là, une femme est arrivée à la barre avec une telle présence, une telle puissance, que j’ai complètement changé mon croquis, en jouant sur les couleurs pour la mettre en avant.

Il me semblait également important, pour un procès aussi grave, de montrer la vérité et l’humanité de chacun·e, en dessinant par exemple les détails de la régie, ci-dessus, ou les gendarmes en train de jouer aux cartes avant d’entrer dans la salle et de poursuivre ces audiences extrêmement fortes. Lorsque je revois ces images, j’éprouve surtout le lien profond tissé entre les participant·es du procès, le sentiment que nous avons tous·tes vécu la même chose – un même moment, un même lieu. C’est quelque chose que je n’oublierai jamais.

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