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Appartient au dossier : La vidéo sur les réseaux sociaux Voyage dans le cyberespace

Nos vies en ligne : les réseaux sociaux

Développés à la fin des années deux mille, et plus encore dans les années deux mille dix, les réseaux sociaux rassemblent aujourd’hui des centaines de millions d’utilisateurs et d’utilisatrices. Balises fait le point sur les enjeux économiques et géopolitiques de ces espaces numériques.

Jeremy Bezanger via Unsplash

Si de nombreux sites et applications peuvent s’apparenter à des réseaux sociaux numériques, seules quelques plateformes concentrent un niveau de ressources, d’utilisation et d’influence en faisant un véritable phénomène de société en Occident : citons en particulier Twitter (lancé en mars 2006), Facebook (lancé dans sa version publique en septembre de la même année), Instagram (octobre 2010), Snapchat (septembre 2011) et TikTok (septembre 2016). À ces premiers noms viennent s’ajouter ceux d’autres réseaux moins connus à l’international mais très utilisés dans leur pays d’origine, comme VKontakte en Russie.

Les utilisateurs et les utilisatrices des réseaux sociaux y disposent d’un profil personnel conjuguant deux éléments : le contact et le contenu. Il s’agit, d’une part, de constituer un réseau en ligne en s’abonnant ou en échangeant avec d’autres personnes – rencontrées sur le réseau ou issues d’un cercle de sociabilité préexistant –, et, d’autre part, de publier des contenus, et de consulter et réagir à ceux de leurs contacts ou de profils publics. À la différence d’un site web classique, l’alimentation des réseaux sociaux repose donc sur leurs utilisateurs et utilisatrices, à la fois producteurs et destinataires de courts textes sur Twitter, d’images sur Instagram et de vidéos sur TikTok, par exemple – même si les réseaux tendent aujourd’hui vers l’uniformité des formats.

Les données personnelles comme ressource économique

S’ils se rapprochent ainsi d’un espace public virtuel générant de nouvelles formes d’interaction, les réseaux sociaux dépendent néanmoins d’entreprises privées, motivées par la recherche du profit. Ces bénéfices viennent alimenter leurs capitaux propres, mais aussi les dividendes de leurs actionnaires. En effet, la plupart des sociétés à l’origine des réseaux sociaux les plus populaires sont aujourd’hui cotées en bourse – à l’exception notable de ByteDance, qui gère l’application TikTok. Leurs cofondateurs n’en sont donc pas les propriétaires exclusifs, bien qu’ils conservent une part au capital et, souvent, un rôle dans la direction de la société.

L’inscription sur ces réseaux sociaux étant gratuite, leur modèle économique ne repose pas sur une contribution financière directe des utilisateurs et utilisatrices. Les entreprises exploitent, d’une part, leurs données personnelles : leur profil socio-économique et leurs centres d’intérêt, identifiables en fonction des renseignements fournis lors de la création d’un profil personnel, des contenus publiés ou visionnés et, dans certains cas, des autres données présentes sur leur téléphone. Les réseaux sociaux intègrent, d’autre part, des dispositifs encourageant à passer du temps sur l’application, ce qui permet de maximiser la vente d’espaces publicitaires. En ce sens, les réseaux sociaux font partie intégrante du « capitalisme de surveillance » théorisé par la chercheuse américaine Shoshana Zuboff : « un nouvel ordre économique qui revendique l’expérience humaine comme matière première gratuite à des fins de pratiques commerciales dissimulées d’extraction, de prédiction et de vente », induisant une modification des comportements.

Chaque entreprise cherche ainsi à attirer et fidéliser un grand nombre d’utilisateurs et utilisatrices pour augmenter son chiffre d’affaires. Cela passe notamment par le développement de nouvelles fonctionnalités, parfois inspirées des innovations d’autres réseaux sociaux afin de neutraliser cet avantage en situation de concurrence. Par exemple, Instagram offre depuis 2016 la possibilité de publier des stories – des photographies ou vidéos effacées après vingt-quatre heures, n’apparaissant ni sur le profil permanent des utilisateurs ni sur le fil d’actualité de leurs abonnés. Cet outil n’est pas sans rappeler le concept de partage éphémère à l’origine de l’application Snapchat.

Toujours sur Instagram, des outils de création vidéo ont été introduits, en réaction au succès grandissant de l’application TikTok, dédiée à la création et au partage de courtes vidéos. Les reels sont désormais mis en avant par l’algorithme d’Instagram au détriment des images fixes, encourageant la publication de ce type de contenus. Une même logique est à l’origine de mises à jour sur Facebook et sur Instagram, qui ont expérimenté – avec plus ou moins de succès – des pages d’accueil basées non plus sur les contenus publiés par les contacts d’un utilisateur ou d’une utilisatrice mais, comme avec TikTok, sur des contenus recommandés par une intelligence artificielle en fonction de ses goûts supposés. Enfin, le rachat d’Instagram par Facebook en 2012, et les propositions similaires adressées à Snapchat, sont une autre façon de neutraliser la concurrence.

Un enjeu géopolitique

L’offre en matière de réseaux sociaux a longtemps été dominée par des entreprises d’origine américaine, en particulier dans le monde occidental. À ce titre, le succès fulgurant de TikTok depuis la fin des années deux mille dix change considérablement la donne : cette application mobile a été développée par l’entreprise chinoise ByteDance, à destination spécifique du marché international – elle n’est donc pas disponible en Chine, quoiqu’une application similaire appelée Douyin y soit proposée, avec un plus grand contrôle des contenus lié à la censure en vigueur dans le pays.

Particulièrement populaire auprès des adolescents et des adolescentes, l’application est critiquée pour sa politique de collecte des données personnelles – jugée plus agressive que celle de ses concurrents américains, même si ces derniers ne sont pas exemplaires en la matière comme l’a montré en 2016 le scandale Facebook – Cambridge Analytica. TikTok a ainsi fait l’objet de plusieurs enquêtes, parfois suivies d’une condamnation, pour violation des règles de protection de la vie privée. Les données recueillies par TikTok alimentent les publicités ciblées sur lesquelles repose son modèle économique – à l’image des autres réseaux sociaux –, mais l’implantation initiale de certains serveurs en Chine et la fuite de plusieurs documents internes font aussi craindre à ses détracteurs des transmissions d’information aux services de renseignements chinois. La question de la liberté d’expression et de la propagation de fausses informations est aussi régulièrement évoquée. En 2019 par exemple, TikTok est accusé d’effacer des vidéos évoquant les manifestations pro-démocratie à Hong Kong ou le mouvement pour l’autonomie du Tibet, alimentant des inquiétudes sur une éventuelle censure en accord avec le gouvernement de Pékin. Son système de recommandations de contenus est également critiqué : plusieurs études récentes ont notamment montré que l’algorithme facilitait la circulation d’informations erronées ou mensongères sur le conflit russo-ukrainien, toutes les vidéos y étant mises sur le même plan.

Certaines de ces accusations sont à interpréter dans un contexte géopolitique plus large. L’interdiction de TikTok en Inde en juin 2020 intervient par exemple au lendemain de nouvelles tensions militaires et diplomatiques entre les deux pays asiatiques. De même, le blocage de Facebook et Instagram annoncé par la Russie en mars 2022 signale une volonté croissante de contrôle de l’information par le Kremlin, en réaction au soutien apporté par les États-Unis et autres pays occidentaux au gouvernement ukrainien.

En Chine, l’accès aux réseaux sociaux occidentaux est interdit de longue date, et la menace d’un bannissement de TikTok aux États-Unis – brandie par l’ancien président Donald Trump – est indissociable de la dégradation des relations entre les deux premières puissances mondiales. Meta, la société mère de Facebook et Instagram, l’a d’ailleurs bien compris et aurait, selon le Washington Post, tenté de s’appuyer sur les inquiétudes suscitées par l’influence grandissante de la Chine pour lancer une campagne de dénigrement contre son principal concurrent.

Publié le 29/08/2022 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

« Le capitalisme de surveillance », LSD, La Série documentaire | France Culture, 29 mars 2021

Dans ce premier épisode d’une série de quatre émissions consacrées à la surveillance numérique, Antoine Tricot et Rafik Zenine se penchent sur la nature et les usages des données personnelles collectées par les réseaux sociaux, les sites web, les smartphones et autres objets connectés. Ils s’appuient notamment sur les travaux de la chercheuse américaine Shoshana Zuboff, à découvrir dans un article traduit par Le Monde diplomatique et dans son ouvrage L’Âge du capitalisme de surveillance (2020), consultable à la Bpi.

« TikTok dans "Le Monde", une ascension fulgurante », par Lucas Minisini | Le Monde, 8 juillet 2022

Cet article revient sur le succès croissant de l’application TikTok, en s’appuyant sur la chronologie de ses évocations dans le journal Le Monde. Il est intégré à la série « La première fois que “Le Monde” a écrit… », qui a également consacré une chronique au réseau Twitter.

Ces deux articles sont accessibles en intégralité à la Bpi via Europresse.

« BeReal, l’Instagram de la vie moche », par Guillemette Faure | Le Monde, 16 septembre 2021

Lancée en 2020 et popularisée en 2022, l’application française BeReal illustre le renouvellement permanent des réseaux sociaux numériques. Avec un concept simple – chaque jour, les usagers ont deux minutes pour prendre en photo leur activité du moment, à un horaire aléatoire –, elle se pose à la fois en concurrent direct et en modèle alternatif à Instagram – vie quotidienne sans artifice, cercle de contacts restreint et temps d’utilisation limité.

« Google exec suggests Instagram and TikTok are eating into Google’s core products, Search and Maps », par Sarah Perez | TechCrunch, 12 juillet 2022

Cet article en anglais du site spécialisé TechCrunch souligne l’influence grandissante des réseaux sociaux sur les autres acteurs du numérique et sur nos comportements en ligne. Des applications favorisant les contenus visuels, comme Instagram ou TikTok, sont désormais utilisées comme des moteurs de recherche. Ces derniers réagissent en indexant à leur tour des vidéos YouTube ou TikTok dans les résultats de recherche, grâce à leurs métadonnées et à un système d’intelligence artificielle en analysant le contenu.

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