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Appartient au dossier : Images des troubles moteurs

Images des troubles moteurs #1 : en bande dessinée

Média populaire et ludique, la bande dessinée présente souvent des personnages au physique très normatif. Mais certains albums s’attachent aussi à ne rien cacher de la complexité de la société et de la diversité des corps. Balises vous propose une série d’images sur les représentations des handicaps moteurs dans les arts visuels, en écho au cycle « Handicaps : une vie à part ? » proposé par la Bpi en 2023.

Scott Lobdell, Adam Kubert et Joe Madureira, X-Men : L’intégrale 1996-1997 (2022) © Panini Comics, Marvel Classic

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Le handicap héroïque dans les comics

Outils d’influence voire de propagande, les comics états-uniens ont représenté le handicap en fonction de l’évolution des perceptions. Si quelques handicaps touchent de rares héros au début des années 1940, ils sont peu invalidants (personnages borgnes ou boiteux, par exemple). Le handicap est d’abord l’apanage des « méchants » ou « supervilains », tel Ultra-humanite, personnage maléfique en fauteuil roulant – ce qui reflète sans doute l’influence des politiques eugénistes aux États-Unis à cette période. Il faut attendre la Seconde Guerre mondiale, avec les victoires militaires sous la présidence de Franklin Delano Roosevelt (lui-même atteint de poliomyélite) et le retour au pays de soldats mutilés, pour voir apparaître dans les bandes dessinées des personnages invalides dont l’intelligence et le courage sont loués. Les conflits  suivantes, avec leurs lots de blessés, ne font que confirmer cette tendance.

Ainsi les comics, s’ils glorifient souvent des héros·ïnes idéaux·les aux corps parfaits, font peu à peu la place à des personnages dont les failles ou les faiblesses sont également mises en avant. Les lecteur·ices peuvent trouver, dans quelques rares albums, Batman ou Superman provisoirement paralysés par une blessure. D’autres personnages avec un handicap moteur jouent un rôle important dans de nombreux comics. On peut citer, entre autres : Captain Marvel Jr., Silhouette, Oracle(ex-Batgirl), Cyborg, Doctor Strange (blessé aux mains), Madame Web, etc.

La série X-Men, créée par Stan Lee et Jack Kirby en 1963 pour le label Marvel Comics, est sans doute celle qui présente le plus habilement la question du handicap. Dans un univers peuplé de personnages mutants, dont l’apparence physique s’est transformée jusqu’à devenir parfois monstrueuse (caractéristiques animales ou sensorielles ultra-développées), les héros·ïnes considérent leurs mutations parfois comme un don, parfois comme une différence insupportable. Le Professeur Xavier ou Professeur X, paralysé des deux jambes mais doté de gènes mutants, a développé des capacités télépathiques extrêmement puissantes. Il est à la tête de l’école des X-Men, l’« Institut Xavier pour Jeunes Surdoués » : les élèves y apprennent à vivre avec leurs différences et à en faire une force. La série X-Men, devenue une franchise en 1983, donne lieu à plusieurs centaines d’épisodes, dans lesquels les histoires s’entremêlent et se complexifient. Le professeur Xavier y apparaît régulièrement pour contrer son ennemi Magneto et mener les X-Men à la victoire. 

Chez les super-héros·ïnes américain·es, au moins jusque dans les années 1990, la vie privée des personnages n’est pas exposée et leur psychologie reste très sommaire. L’invalidité est d’abord un alibi dramatique qui permet de rendre plus manifeste la puissance des capacités acquises, et d’effacer le sentiment d’injustice qui peut accompagner le handicap. Cependant, dans les publications plus récentes, les auteur·rices proposent des représentations dans lesquelles les difficultés concrètes des personnages à mobilité réduite ne sont pas éludées. 

Le handicap comique ou fantastique dans la BD européenne

Dans l’univers de la bande dessinée franco-belge, la représentation du handicap est plus rare et récente. L’autisme et la santé mentale ont dernièrement fait l’objet de parutions, mais le handicap moteur est moins souvent illustré. Il est fréquemment abordé de manière burlesque, et tend à relativiser les situations d’invalidité. Un premier exemple célèbre apparaît sous la plume de Hergé dans l’une des aventures de Tintin, Les Bijoux de la Castafiore (1963), où le Capitaine Haddock se retrouve, provisoirement, en fauteuil roulant après s’être cassé la jambe. Contraint dans ses déplacements, le Capitaine est dans l’incapacité d’échapper à l’affection envahissante de la Castafiore, ce qui donne lieu à nombre de situations cocasses. 

Plus récemment, Fabcaro a suivi la même tradition avec Parapléjack (2014), qui met en scène, sous forme de strips, un personnage paraplégique. L’album, fortement teinté d’humour noir, fait ressortir l’absurdité des situations auxquelles une personne en fauteuil peut être confrontée. La Bande à Ed (2007, prix Handilivres) de Georges Grard et Jacques Lemonnier, propose également un regard différent sur les personnes à mobilité réduite. Un jeune garçon en fauteuil roulant y vit une série d’aventures et de gags accompagné de ses amis. Sans nier les problèmes qu’impose le handicap, la série insiste sur l’importance du jeu et de la relation aux autres. 

Sur un mode plus héroïque, on rencontre également le handicap moteur dans les années 1980 avec Les Aventures d’Alef-Thau (1983-1998) d’Arno et Alejandro Jodorowsky, qui mettent en scène un héros né sans bras ni jambes. Au gré des épisodes, il reconquiert progressivement des parties de son corps… non sans en perdre d’autres. Ce personnage, évoluant dans un univers qui mêle science-fiction et heroic fantasy, est doté de pouvoirs paranormaux comme la possibilité de sortir de son corps sous forme ectoplasmique. Dans cet univers fantastique, où les membres apparaissent et disparaissent au cours des différentes péripéties du héros, le handicap n’apparaît que comme une gêne provisoire, qui a vocation à être corrigée.

Une série récente, Dans les yeux de Lya (2019-2021) de Justine Cunha, propose de mêler la réflexion sur le handicap à une intrigue policière. L’héroïne, en fauteuil roulant à la suite d’un accident, mène l’enquête pour retrouver le chauffard qui l’a laissée pour morte au bord de la route. La détermination de l’héroïne à identifier le coupable lui permet de surmonter tous les obstacles. 

Le handicap intime dans les mangas

C’est sans doute du côté des mangas japonais que l’on trouve la représentation la plus intime et la plus sensible du handicap moteur. Au Japon, où l’eugénisme a longtemps été mis en œuvre et où toute forme de différence reste l’objet d’un fort rejet social, les personnes en situation de handicap sont encore largement exclues de la société, jugées inaptes au travail, et disposant de peu d’infrastructures – malgré des progrès en matière d’accessibilité lors des Jeux olympiques de Tokyo. Pourtant, le manga, issu de la contre-culture japonaise, réussit à aborder des thèmes qui dérangent l’ordre social établi et bousculent les idées reçues. 

Parmi les séries traduites en français, on peut citer Limited Lovers (2010) de Keiko Yamada, qui raconte l’histoire de Karin, une jeune fille très populaire dans son lycée. Paralysée des jambes à la suite d’un accident, elle voit tous·tes ses ami·es l’abandonner. Elle trouve l’énergie de suivre sa rééducation grâce au médecin dont elle est tombée amoureuse. Autre romance, Perfect World (2016-2021), de Rie Aruga, met en scène une jeune femme qui retrouve son premier amour, Ayukawa, désormais en fauteuil roulant. Au cours des douze épisodes de ce manga, iels sont confronté·es à de multiples obstacles après leur décision de se mettre en couple, malgré l’hostilité de certains de leurs parents et voisins. 

Les mangas sportifs, qui séduisent de nombreux·ses fans au Japon et ailleurs, se sont également intéressés aux parasports. Dans Real (1999-2014) de Takehiko Inoue, plusieurs basketteurs handicapés se retrouvent sur le terrain. Les lecteur·ices suivent la progression de plusieurs d’entre eux depuis l’accident qui a causé leur invalidité et la détresse qui s’ensuit, jusqu’à leur retour dans la compétition, non sans doutes ni difficultés. 

À l’occasion des Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo en 2020, les lecteur·ices ont aussi pu découvrir Running Girl, ma course vers les paralympiques (2020) de Narumi Shigematsu (2020). Ce manga met en scène une lycéenne amputée d’une jambe, qui, après une année de désespoir, trouve, dans le sport, une nouvelle raison de vivre. Équipée d’une « lame » (prothèse de jambe adaptée aux sports de course), elle s’entraîne assidûment pour participer aux Jeux. 

S’ils n’échappent pas toujours au pathos, les mangas ont le mérite d’aborder sans détour les questions liées aux handicaps, en proposant des situations et des personnages à la fois crédibles et passionnants. 

Publié le 03/04/2023 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

« 15 persos MARVEL et DC Comics qui se BATTENT malgré leur HANDICAP ! », par JB | Top Comics, 3 décembre 2018

Outre leurs super-pouvoirs, les super-héros·ïnes ont cela de particulier qu’iels se conforment généralement à un idéal physique masculin ou féminin : Batman, Captain America ou Doc Savage sont ainsi le pinacle de l’être humain dans leurs univers respectifs. Plus rares sont les héros·ïnes devant surmonter un handicap physique (permanent ou temporaire) dans leur quête de justice.

« Super-héros et handicap », par Écologeek | Geek Life Festival, Youtube, 29 mars 2022

Alors qu’on voit le monde des super-héros·ïnes comme celui du culte du corps, Ecologeek fait l’éloge de ces personnages aux physiques abimés, cabossés ou différents, et parle plus largement de la vision des corps dans les comics.

15 mangas qui traitent du handicap et de la maladie | Nautijon, 28 juin 2017

Une sélection de quelques mangas qui traitent du handicap et de la maladie.

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