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Appartient au dossier : Voir Vénus : du point lumineux au sol de la planète

Voir Vénus #3 : les lunettes de Galilée

La planète Vénus, objet de nombreuses spéculations et mythologies, s’est dévoilée pour la première fois devant la lunette astronomique de Galilée. Celui-ci a proposé une nouvelle vision de l’univers, très différente des conceptions religieuses de son temps, et a bouleversé tout à la fois la science et l’Église. Balises vous propose d’observer l’évolution des connaissances astronomiques au travers de représentations de la planète Vénus, pour accompagner le cycle de conférences « Espace, frontière de l’infini » qui se déroule à la Bpi à l’automne 2022.

Planche de Galilée présentant les phases de Vénus, extrait de L’Essayeur (Il saggiatore). Roma, 1623. Biblioteca Nazionale Centrale. Firenze. CC0
Lunettes de Galilée, photo ancienne
Les deux principales lunettes de Galilée, conservées à Florence, Bulletin de la Société astronomique de France, 1910 – Gallica BNF

Une lunette pour observer le ciel

L’observation du ciel s’est longtemps faite à l’œil nu : cela suffisait pour repérer des étoiles et dresser une cartographie du ciel utile pour naviguer ou établir un calendrier. Si les premières lentilles optiques apparaissent dans l’empire assyrien sous la forme de cristal taillé, il faut attendre le 13e siècle pour qu’on en saisisse l’intérêt afin de corriger la vue ou d’étudier les étoiles. Cependant, la médiocre qualité de ces premières lentilles ne permet qu’une observation très limitée des phénomènes célestes. En 1608, l’opticien néerlandais Hans Lippershey (vers 1570-vers 1619) invente une longue-vue qui permet de rapprocher environ sept fois les paysages observés. Le savant italien Galilée (1564-1642) s’inspire de cette découverte : aidé par les verriers de Murano, il améliore la qualité des lentilles et fabrique de nouvelles lunettes plus performantes, pouvant grossir jusqu’à trente fois les objets. Son instrument est constitué de deux verres : le premier, convexe, sert d’objectif, le second, concave, est l’oculaire. Associées, les deux lentilles corrigent les déformations de l’image perçue. Galilée tourne son invention vers les étoiles, il va alors révolutionner l’astronomie moderne.

Un nouvel Univers

Avec cette nouvelle lunette, l’Univers encore largement inconnu s’ouvre aux regards. En quelques mois, Galilée enchaîne les découvertes : la Voie lactée, la constellation d’Orion, les amas d’étoiles, etc. Il aperçoit la surface chaotique et montagneuse de la Lune, contredisant ainsi les prédictions aristotéliciennes qui en faisaient un astre lisse et parfait. En 1610, il observe quatre lunes en mouvement circulaire autour de Jupiter. La découverte est alors capitale : elle prouve que toutes les planètes ne tournent pas autour de la Terre, immobile au centre de l’Univers, mais qu’elles peuvent être les satellites les unes des autres. 

Galilée publie en mars 1610 ses premières observations dans un ouvrage d’une centaine de pages, le Sidereus nuncius (Le Messager céleste), tiré en 550 exemplaires rapidement diffusés dans les cercles savants. Galilée poursuit ses recherches à Florence et fait, en observant Vénus, de nouvelles découvertes révolutionnaires. Vénus, qui est l’astre le plus brillant du ciel après le soleil et la Lune, est facilement visible à l’œil nu : appelée aussi Étoile du Berger, elle intrigue depuis longtemps les savants qui considéraient souvent l’« étoile du matin » et l’« étoile du soir » comme deux astres différents. Mais Galilée, grâce à sa lunette, dément vite ces intuitions et fait deux observations essentielles.Tout d’abord, la taille de Vénus varie quand on l’observe depuis la Terre ; or, si elle tournait autour de notre planète, son diamètre apparent devrait rester constant. Vénus ne tourne donc pas autour de la Terre. D’autre part, Vénus présente, comme la Lune, des phases pleines et des phases en croissant, alors qu’une planète sur une orbite externe à celle de la Terre, comme Jupiter, semble toujours éclairée de face. Galilée en conclut que l’orbite de Vénus autour du Soleil est inférieure à l’orbite terrestre. Tout cela s’avère incompatible avec la théorie aristotélicienne d’un Univers géocentrique, et vient au contraire confirmer les prédictions de l’astronome polonais Copernic : c’est le Soleil et non la terre qui se trouve au centre de l’Univers. 

Des observations dérangeantes…

Si la thèse copernicienne est connue depuis que le savant polonais a fait paraître en 1543 De Revolutionibus Orbium Coelestium (Des révolutions des sphères célestes), elle restait largement spéculative et peu répandue ; Copernic n’a pas été condamné par l’Église. Il en va autrement de la découverte de Galilée : non seulement il parvient à prouver par des observations la validité du modèle théorique, mais de surcroît il l’enrichit considérablement. Ce faisant, il rompt l’opposition — maintenue par la tradition chrétienne — entre la Terre, imparfaite, et le ciel réputé divin, régulier et parfait. Il affirme que notre planète n’est qu’une parmi d’autres, qui ont des caractéristiques communes et que toutes tournent les unes autour des autres dans un chaos apparent.

Les attaques contre Galilée commencent avec la parution du Messager céleste, mais elles restent d’abord isolées et confuses. Un certain Francesco Sizzi affirme par exemple dans sa Dianoia astronomica, optica, fisica (1612) que la lunette est un instrument trop récent et l’optique un domaine encore trop mal connu pour en tirer des conclusions valables : les lentilles peuvent engendrer des déformations. Mais ces arguments sont vite balayés par Galilée qui a précisé sa méthodologie et décrit son instrument dans ses ouvrages. De plus, il multiplie les démonstrations dans les cours italiennes : chacun peut constater la pertinence de ses observations. Enfin, Galilée jouit d’un grand prestige et de protecteurs puissants comme le Grand-duc de Toscane et le cardinal Maffeo Barberini, futur pape Urbain VIII.

Galilée Galilei et le Doge de Venise, fresque de Bertini – CC0

L’héliocentrisme en procès

Cependant, à partir de 1615, l’Inquisition fait pression sur le pape : la théorie héliocentrique, contraire aux quelques descriptions astronomiques présentes dans la Bible, ne doit plus être enseignée et répandue. Galilée et ses partisans, comme Johannes Kepler (1571-1630), n’en poursuivent pas moins discrètement des recherches qui confirment leurs premières observations. Mais en faisant paraître, en 1632, le Dialogue sur les deux grands systèmes du monde, Galilée fait scandale. Dans cet ouvrage, écrit non pas en latin mais dans un italien qui peut être compris d’un large public, il se moque des partisans du géocentrisme — et implicitement des théologiens — et défend sa thèse. Cette fois, c’est le procès :  Galilée est contraint de retirer ses propos et condamné à la prison. Sa peine est néanmoins commuée par le Pape en résidence surveillée dans sa villa d’Arcetri, où il finit ses jours. 

Il faut attendre le 18e siècle pour que l’Église catholique autorise de nouveau la parution d’ouvrages sur l’héliocentrisme. Ce n’est qu’en 1992 que le pape Jean-Paul II reconnaît que Galilée avait raison face aux théologiens de son temps et l’Église admet enfin les observations scientifiques du savant sur le fonctionnement de l’Univers.

Publié le 17/10/2022 - CC BY-SA 4.0

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Jean-Paul Walch
Nouveau Monde, 2017

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Gallimard, 2015

Cet ouvrage, devenu un classique, s’intéresse à la révolution qu’a connue la pensée philosophique et scientifique aux 16e et 17e siècles. De Copernic à Galilée, de Descartes à Newton et à Leibniz, Alexandre Koyré retrace les étapes de cette révolution spirituelle.
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