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Appartient au dossier : Les visages du documentaire canadien

150 000 enfants autochtones dans les pensionnats indiens du Canada

Pendant plus d’un siècle, 150 000 jeunes autochtones sont passés par les pensionnats indiens du Canada, où ils ont subi de multiples maltraitances. En 2015, la Commission de vérité et de réconciliation du Canada a pu établir les faits et reconnaître les crimes commis par les églises et le gouvernement canadien.
Balises revient sur cette page de l’histoire canadienne, à l’occasion du cycle « Au Canada… Traversée documentaire », proposé par la Cinémathèque du documentaire à la Bpi à l’automne 2022.

Pensionnat pour autochtones à Kamloops en 1930. Wikimedia Commons – CC 0

Un système d’assimilation

Dès le 17ᵉ siècle apparaissent au Canada des écoles missionnaires destinées aux enfants autochtones. Les premiers pensionnats financés par l’État sont bâtis au cours du 19ᵉ siècle et un réseau fédéral se met en place à partir de 1883. De 1894 à 1920, la loi sur les Indiens inclut des articles de plus en plus contraignants pour rendre obligatoire leur fréquentation par les enfants de sept à quinze ans. Le système connaît son apogée en 1930, avec environ quatre-vingts établissements en activité.

Le gouvernement canadien fait valoir des nécessités éducatives et l’ambition d’intégrer ces jeunes à la société. Dans les faits, il s’agit d’isoler les enfants métis, Inuits et membres des Premières Nations pour leur faire assimiler les mœurs euro-canadiennes et les forcer à abandonner leurs langues et leurs cultures. De manière plus pernicieuse, cela devait également conduire les peuples autochtones à se fondre dans la population canadienne en renonçant à leurs biens et à leurs terres.

Acculturation et maltraitance

Tenus par diverses congrégations catholiques, anglicanes et presbytériennes, ces pensionnats reçoivent les enfants, séparés de leurs familles, au moins dix mois par an. Ils y sont coupés de leur culture : l’emploi de leur langue maternelle est interdit, ainsi que le port de vêtements traditionnels et toute autre pratique coutumière et religieuse. Les journées se répartissent entre un enseignement sommaire et de nombreux travaux qui, sous prétexte d’apprentissage, visent à assurer l’entretien et la subsistance du pensionnat : agriculture, construction, ménage et cuisine. Des cérémonies chrétiennes ponctuent l’emploi du temps.

Outre l’acculturation subie, les conditions de vie dans les pensionnats étaient très dures, la discipline sévère, et les négligences permanentes. Les enfants avaient à endurer des punitions incluant les coups, les privations ou l’enfermement. De nombreux pensionnaires ont également fait état d’abus sexuels, rarement et faiblement réprimés. Enfin, faute d’un financement suffisant, la nourriture était de mauvaise qualité et en quantité insuffisante. La sous-nutrition, jointe au surpeuplement de ces établissements, entraînait des maladies, en particulier la tuberculose et la grippe. Pour toutes ces raisons, les décès étaient nombreux parmi les pensionnaires : dès 1907, le rapport Bryce révèle un taux de mortalité de 24 % dans 15 établissements. On estime aujourd’hui qu’entre 3 000 et 6 000 jeunes autochtones ont trouvé la mort dans ces pensionnats. 

Séparés de leur culture d’origine et incapables de s’insérer dans la société canadienne, les anciens pensionnaires devaient faire face aux séquelles psychologiques, physiques ou sexuelles de leur enfermement. Les traumatismes qui causaient anxiété, dépression, violence et suicide, se sont, selon des chercheurs en psychologie et sociologie, largement transmis à leur descendance.

De la révolte à la fin d’un système

Tout au long de l’existence des pensionnats, de nombreuses voix se sont élevées parmi les peuples autochtones pour en critiquer la gestion. Certains parents ont protesté via des lettres et des pétitions. De nombreux enfants se sont révoltés, choisissant parfois l’évasion, parfois l’incendie volontaire de leur établissement . Mais il faut attendre la fin des années quarante pour que le gouvernement canadien s’inquiète des dysfonctionnements. En 1948, un comité mixte spécial, réunissant des autochtones et des membres du gouvernement, constate que les pensionnats ne remplissent pas leur rôle : l’enseignement reçu est largement insuffisant et ne permet pas l’intégration des autochtones. De plus, les maltraitances commencent à être connues au-delà des peuples amérindiens.

Faute de financement, et du fait d’un relatif assouplissement de la loi sur les Indiens en 1951, la part d’élèves scolarisés baisse peu à peu à partir des années soixante. En 1969, l’État fédéral prend en charge ces institutions, en écartant les églises qui les géraient. Le nombre d’établissements décroît pendant les décennies suivantes, et le dernier établissement ferme ses portes en 1996. En un peu plus d’un siècle d’existence, ces pensionnats ont reçu 150 000 jeunes autochtones.

Du scandale à la reconnaissance

Au cours des années quatre-vingt-dix, les récits des anciens pensionnaires et les plaintes en justice se multiplient, conduisant le Canada à mettre en place, en 2008, une Commission de vérité et de réconciliation : il s’agit de révéler la réalité des pensionnats et d’établir leur impact sur les communautés autochtones. La commission rend ses conclusions en 2015 et reconnaît, grâce aux documents et témoignages recueillis, la mise en place d’un véritable génocide culturel. 1,9 milliard de dollars canadiens (environ 1,4 milliard d’euros) sont accordés aux anciens élèves au titre de compensation des traumatismes subis. Après le Premier Ministre Stephen Harper en 2008, Justin Trudeau présente des excuses aux peuples autochtones au nom du gouvernement du Canada en 2015.

Au cours des années quatre-vingt-dix, les églises protestantes ont également présenté des excuses, mais il faut attendre 2022 et une vague d’incendies visant des lieux de prière pour que le pape François, en visite au Canada, demande officiellement pardon au nom de l’Église catholique. Les églises sont désormais appelées à communiquer toutes leurs archives concernant les pensionnats pour contribuer au travail de mémoire sur cette période. Les recherches se poursuivent pour identifier les victimes et retrouver les tombes des enfants, qui n’étaient pas marquées. En 2021, les restes de 750 enfants sont retrouvés sur le site du pensionnat de Marieval, et 215 autres à Kamloops.

Publié le 12/09/2022 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Kill the Indian in the Child

Élise Fontenaille
Oskar éditeur, 2017

Arraché à sa famille, le jeune Mukwa, onze ans, est envoyé au pensionnat de Sainte Cécilia. Entre les mains des religieux qui veulent lui faire renier ses origines, il découvre l’humiliation et les mauvais traitements. « Tuer l’Indien dans l’enfant » est le mot d’ordre dans ces pensionnats : au prix des pires sévices, il faut éradiquer la culture amérindienne dès l’enfance. Mukma décide de fuir pour retrouver sa famille…

À la Bpi, niveau 1, RR FON K

Histoire des pensionnats indiens catholiques au Québec

Henri Goulet
Presses de l’Université de Montréal, 2016

Ce livre revient sur la situation particulière des pensionnats indiens dans la province du Québec. Apparus plus tardivement que dans le reste du pays et en nombre restreint, ils ont pourtant été ouverts au moment où commençait le démantèlement de certains pensionnats des provinces anglophones. Fondé sur les archives des pères oblats, très peu exploitées à ce jour, ce premier livre sur les pensionnats autochtones au Québec relate l’histoire de chaque établissement.

À la Bpi, sur Bibliovox

Pensionnats indiens au Canada | L'Encyclopédie canadienne

Les pensionnats indiens étaient des écoles religieuses financées par le gouvernement pour assimiler les enfants autochtones à la culture euro-canadienne. Bien que des pensionnats aient été établis à l’époque de la Nouvelle-France, le terme désigne habituellement les écoles créées après 1880.

Centre national pour la vérité et la reconciliation

Le Centre national pour la vérité et la réconciliation (CNVR) se veut un espace d’enseignement et de dialogue où les vérités sur les pensionnats autochtones seront honorées et protégées, pour qu’en bénéficient les générations futures.

« "Tuer l’Indien dans l’enfant" : d'anciens pensionnaires canadiens témoignent », par Camille Renard | France Culture, 14 juin 2021

« Les restes de 215 enfants autochtones ont été retrouvés près d’un ancien pensionnat au Canada, réveillant les fantômes d’une sinistre histoire coloniale. Le dernier pensionnat réservé aux Indiens a fermé en 1996. Des survivants ont témoigné de ces traumatismes de l’enfance qui ont détruit leur vie. »

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