Les gameuses déjouent le sexisme
Pour mettre à mal le sexisme et le racisme dont elles sont les cibles, les gameuses se mobilisent sur les réseaux sociaux. À l’occasion du Festival Press Start 2025, qui a pour thème (Dé)construction, Balises explore les armes des joueuses pour défaire les stéréotypes et rendre l’univers des jeux vidéo plus inclusif.
Sur Twitch, YouTube et Tik Tok, les streameurs et streameuses partagent des vidéos de leurs parties, leurs expériences, leurs avis et commentaires, au sein de communautés très actives. Or, la présence accrue des gameuses (48 % des joueur·euses sont des femmes) dans une discipline jusque-là monopolisée par les hommes, est mal perçue par une partie de la communauté masculine. D’ailleurs, en 2023, une étude Ifop révèle que 40 % des gameuses sont victimes de sexisme. La streameuse Nat’Ali, confie par exemple à France Inter : « Des fois ça va juste être des gens qui passent sur nos lives pour nous envoyer des insultes, des fois ça va être des mecs qui envoient des demandes sexuelles non sollicitées, des dickpicks [photos de pénis, ndlr] et autre saloperies. » Dreeeeyyyy, quant à elle, se plaint en août 2024 dans un post TikTok de « la misogynie banalisée » : « On nous critique sur notre façon de jouer, sur notre place dans l’univers du gaming. […] en nous disant “Retourne à la cuisine, de toute façon, tu joues qu’aux SIMS”. »
« Sur les jeux en réseau, les gameuses sont souvent l’objet de sarcasmes machistes de la part des joueurs qui “se lâchent” sous couvert de jeu et d’anonymat », confirme le journaliste Sébastien Bohler. « La phrase “Tits or get the fuck out” [“Montre-nous des nichons ou va te faire voir ailleurs”], rencontrée souvent sous forme d’acronyme (TOGTFO), est utilisée sur des forums Internet ou dans le cadre de jeux vidéo online par certains joueurs afin d’intimider et repousser les joueuses », ajoute Catherine Driscoll, chercheuse en études de genre, dans son article « Gamer Girls », publié dans l’ouvrage dirigé par Fanny Lignon, Genre et Jeux vidéo (2015).
Comment les joueuses se prémunissent-elles des propos sexistes ? Quelles sont leurs armes pour se défendre et défaire les stéréotypes de genre dans l’industrie vidéoludique ?
Les Girrrls se rebiffent sur les réseaux
Depuis #MeToo, les gameuses ne manquent pas d’imagination pour combattre les préjugés et changer les regards. « Grrrl togetherness », de l’anglais « solidarité féminine », sonne comme une menace, avec les « Grrr », suggérant les grognements d’un chien méchant, aux canines prêtes à mordre. Le « Grrrl togetherness », pratique communautaire participative inspirée du mouvement musical féministe « Riot Grrl », rassemble des joueuses prêtes à en découdre avec les auteurs de remarques sexistes sur les plateformes de jeux.
Pour se démarquer, elles emploient le terme de « gamer girl » et publient des posts en affichant leur goût pour le jeu, n’en déplaise à ces messieurs. Elles utilisent notamment TikTok pour dénoncer les stéréotypes et propos sexistes. Arantxa Vizcaíno-Verdú a analysé 161 publications TikTok, rédigées par des joueuses avec le hashtag #GamerGirl, afin de déterminer « comment ces utilisatrices remettent en question les discours hypermasculinisés, en favorisant une “solidarité entre joueuses” qui célèbre la diversité et la sororité. S’inspirant de la résistance féministe dans les médias, les résultats suggèrent que les joueuses remodèlent activement leur rôle au sein de la culture du jeu vidéo, reprennent le contrôle et favorisent un environnement plus ludique et inclusif ». De même, la chercheuse en sciences de l’information et de la communication Fanny Lignon cite quelques initiatives destinées à déjouer le sexisme. L’autrice de Genre et Jeux vidéo (2015) évoque par exemple les guildes réservées aux filles aux noms provocateurs, comme Fuzzy Bunnies (Lapinous Tout Doux), Battle Kittens (Châtons de Combat) ou The Bad Girls Club (Le Club des Vilaines Filles) ou encore les sites GirlGamer.com (CGC) ou celui des Frag Dolls (Poupées shooteuses), l’équipe de joueuses professionnelles, créée par Ubisoft en 2004 et dissoute en 2015.
Les streameuses s’emparent aussi des réseaux sociaux pour attaquer de manière plus frontale leurs agresseurs. Maghla (700 000 abonné·es sur Twitch) est une des premières à dévoiler au public, en 2022 sur Twitter, les messages sexistes de ses harceleurs et à donner le coup d’envoi au mouvement de révolte des streameuses.
L’objectif, pour les joueuses, est de diffuser des informations, des textes et des images pour déconstruire, avec humour souvent, les stéréotypes de genre et lutter aussi contre le racisme.
Des associations contre le sexisme et le racisme
Les joueuses sont les cibles de commentaires misogynes mais aussi racistes. Jennifer Laufer, présidente d’Afrogameuses, et consultante diversité pour studios, témoigne sur TikTok des propos choquants dont elle a été victime : « tu dois jouer à Candy Crush, toi » ; « ah purée, je ne pensais pas que tu étais noire ! […] ta voix est tellement douce ». « J’ai lancé Afrogameuses en 2020 parce que j’en avais marre de subir ce sexisme et ce racisme et que j’avais envie surtout de partager mon expérience et de voir si d’autres personnes avaient pu vivre les mêmes choses », explique-t-elle. La création d’une association peut être un moyen de lutter plus efficacement contre l’intolérance avec des soutiens variés (guide pour les streameuses, aide juridique pour les victimes de propos sexistes et/ou racistes, etc.).
Changer les mentalités passe donc par la diffusion d’informations en ligne, sur les plateformes, mais ne peut faire l’économie d’une sensibilisation plus approfondie au sein d’établissements scolaires.
L’école, un pare-feu contre le sexisme
« L’école est l’un des rares endroits où les enseignants ou d’autres adultes peuvent intervenir activement en pointant les discours dominants qui circulent dans la société et en aidant les élèves à avoir plus de subtilité, de réactivité et de lucidité vis-à-vis de ce phénomène », affirme Catherine Béavis, chercheuse en sciences de l’éducation, spécialiste des usages des jeux vidéos et des nouvelles technologies. Selon l’autrice de l’article « Girls play, boys play. Les jeux vidéo, le gameplay et l’enseignement », publié dans Genre et Jeux vidéo, « le travail en classe pourrait comprendre une analyse des présupposés de genre qui sous-tendent les “jeux vidéo pour filles” et leur marketing, de l’influence de ces présupposés sur la façon dont les filles – et les garçons – se perçoivent eux-mêmes, et de la façon dont de tels présupposés orientent les individus des deux sexes et imprègnent les postures subjectives et les valeurs que les joueurs sont invités à adopter. »
Les projets éducatifs sont, en effet, un tremplin pour changer les mentalités. Et, lorsqu’ils sont ludiques, les adolescent·es se prennent au jeu et deviennent elles-mêmes et eux-mêmes des ambassadeur·rices de l’éducation aux bonnes pratiques du gaming. Dans le cadre du projet d’éducation aux médias « Le média, c’est toi ! », accompagné par France 3, l’INA et l’ESJ, des élèves de 3e du collège Victor-Hugo de Somain (Nord), et leur professeur Romain Kalisz, ont, par exemple, réalisé en 2024 un petit film pour dénoncer le sexisme et montrer la voie de l’inclusion. Dans cette vidéo, les élèves dressent un état des lieux des inégalités de genre dans l’industrie vidéoludique et recueillent le témoignage de Clarou, streameuse victime de propos sexistes.
Les auteur·rices de ce court-métrage finissent par conclure que si les femmes étaient davantage aux commandes parmi les concepteur·rices de jeux vidéo (seulement 24 % des développeur·euses sont des femmes), les personnages féminins seraient sans doute moins hypersexualisés, et les joueurs davantage enclins à voir leurs consœurs gameuses comme des égales, et non comme des objets sexuels.
Publié le 08/09/2025 - CC BY-SA 4.0
Pour aller plus loin
Genre et Jeux vidéo
Presses universitaires du Midi, 2015
Fortement masculinisé à sa naissance dans les années 1960, l’univers du jeu vidéo s’est en quelques décennies ouvert à toutes les couches de la population et de la société, et notamment aux femmes, malgré des polémiques sur les pratiques sexistes au sein des jeux et des communautés de joueurs. Analyse de la représentation du masculin et du féminin, des modes d’identification, etc. © Électre 2015
À la Bpi, 301.45 GEN
Jeu vidéo et Adolescence
Hermann, 2019
Etudes sociologiques sur les pratiques vidéoludiques des adolescents à partir d’enquêtes de terrain. Les auteurs abordent le rôle des jeux dans la construction identitaire, mais aussi la représentation des adolescents dans les jeux et leurs scénarios. © Électre 2019
À la Bpi, 301.45 JEU
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