Interview

Appartient au dossier : Press Start 2021 : Les bestiaires du jeu vidéo

Agir pour l’environnement en jouant à Roots of Tomorrow

Culture numérique

Paysage virtuel en région PACA dans Roots of Tomorrow, © Gamabilis

Faire comprendre les enjeux de l’agroécologie en jouant, c’est le pari du studio de jeu vidéo Gamabilis. Elise Gabassi, reponsable marketing de Gamabilis, nous présente le jeu Roots of Tomorrow, qui sortira en octobre 2021 et qui sera également présenté lors de la rencontre « Forum du jeu vidéo : de la nature aux mondes virtuels » dans le cadre de Press Start 2021.

Quelles différences y-a-t-il entre votre jeu et des jeux de simulation comme Farming simulator

Roots of Tomorrow est également un jeu de gestion et de simulation dans le monde agricole, mais il est conçu avec un conseil scientifique : l’INRAE (l’institut national de recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement), qui s’assure de la fiabilité des données scientifiques et du contenu du jeu. Nous avons travaillé avec des scientifiques, des chercheurs et des acteurs du monde agricole également. Nous sommes allés sur le terrain rencontrer des exploitants. Notre jeu s’appuie sur la réalité et se veut pédagogique.

Dans Farming simulator, par exemple, vous avez un objectif de performance absolue. Le but de notre jeu est de réussir sa transition vers l’agroécologie en dix ans en parvenant à un équilibre en prenant en compte des critères économiques, sociaux et environnementaux. Les trois scénarios se déroulent chacun dans une région de France quand de nombreux jeux de simulation agricoles se déroulent aux États-Unis. Ce n’est donc pas le même modèle agricole non plus.

Quel est le modèle économique de ce jeu ?

Le jeu propose trois scénarios gratuits pour le grand public. Tous les scénarios traitent de polyculture-élevage mais dans des régions différentes : en Bretagne, en région PACA et le dernier en région Grand-Est. Les types de culture et d’élevage se calent sur la réalité avec par exemple des ovins et des céréales en PACA et plutôt du porcin en Bretagne et du bovin allaitant dans le Grand-Est. Nous venons de signer un accord avec le Conseil régional de Normandie pour parler d’élevage bovin laitier. D’autres options seront proposées, en version payante, comme
par exemple un scénario autour de l’agriculture urbaine.

Nous avons développé également une version adaptée à l’enseignement avec une licence éducation. Elle est destinée aux enseignants des écoles d’agriculture. Dans cette version, l’enseignant peut paramétrer une partie en fonction de son objectif et de ses contraintes. Il peut déterminer la durée du jeu, la fréquence d’un événement et fixer un objectif à ses élèves.

La création du jeu est financée par plusieurs acteurs. Il est réalisé sous le haut patronage du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation et du ministère de la Transition écologique. L’ADEME (l’Agence de la transition écologique) y participe également ainsi que le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée), plusieurs régions et des organismes interprofessionnels. Nos partenaires financent le projet et suivent son évolution mais n’interviennent d’aucune manière sur le contenu du jeu. C’est toujours le Conseil scientifique qui a le dernier mot.

Quels sont les critères pris en compte dans le jeu ?

Dans le jeu, le joueur reprend une exploitation agricole qu’il doit faire évoluer vers un modèle plus écologique. Il est en charge de l’exploitation du bétail et de la culture des terres. Mais un exploitant est aussi un entrepreneur. Il est donc concerné par des problèmes de recrutement et de gestion de personnel, de la répartition et de la charge de travail, du choix d’un mode de production et de distribution, du respect des normes environnementales. Il doit aussi construire et améliorer les bâtiments, opter pour un type d’énergie, surveiller ses émissions de gaz à effet de serre… Les indicateurs sont au nombre de onze et il faut parvenir à les équilibrer. Le jeu se joue en 260 tours qui représentent dix ans de l’exploitation. Une partie dure en moyenne huit heures et malgré la complexité, il est tout à fait possible de réussir sa transition. La version pour l’enseignement permet des parties plus courtes, d’environ deux heures.

Est-ce que les aides d’État sont incluses dans les critères ?

On peut tout à fait demander des subventions et des aides à l’état. Il est possible d’emprunter également, si nécessaire, pour la construction de bâtiments ou d’infrastructures… Cela fait partie des critères qui permettent la réussite et les données en la matière sont également très réalistes. Si la conception du jeu a pris beaucoup de temps, c’est qu’il y a énormément de données à rentrer. Nous cherchons à être vraiment le plus réalistes possible, donc les critères sont très nombreux, jusqu’aux données météo qui sont prises en compte. C’est aussi ce qui fait l’intérêt du jeu pour la formation professionnelle.

Comment est considéré l’animal sur cette exploitation ?

L’animal n’est pas considéré comme une simple matière première. Déjà, le jeu n’engage pas à la surconsommation. Il est soucieux du bien-être animal et encourage l’usage de bâtiments spécifiques, ouverts sur l’extérieur ou le plein air. Il y a de l’éthique et du respect dans la relation à l’animal. Nous avons envisagé de donner un petit nom aux vaches mais ce n’est pas encore dans le jeu. Et encore faut-il que le troupeau ne soit pas trop grand. Nous n’avons pas creusé plus le rapport humain/animal car cela reste un jeu de gestion.

Le rapport à la nature, par contre, est plus présent. Les données météo ont été incluses dans le jeu pour suivre le rythme des saisons. C’est un critère important dans le métier d’exploitant qu’il faut apprendre à respecter en y adaptant les cultures. Les graphistes et les game designers se sont basés sur des données réelles pour la création des décors et font évoluer le paysage en fonction des saisons. Ils s’attachent aussi aux spécificités des régions pour représenter les éléments qui composent le décor, y compris les bâtiments. Les données sont parfois recueillies sur le terrain. Par exemple, l’été dernier, nous sommes allés visiter une exploitation près de Reims. Nous avons beaucoup discuté avec l’exploitant qui nous a parlé du paysage et des pratiques agricoles du temps de ses grand-parents ou de ses parents et expliqué comment il les a transformés, avec son cousin, dans leur démarche vers l’agroécologie. C’est un jeu de gestion et de simulation qui s’appuie vraiment sur le réel.

Comment est venue l’idée de ce jeu ?

Sur les salons de la food tech et de l’agroalimentaire que Vincent Péquignot, le fondateur de Gamabilis fréquentait, divers acteurs lui vendaient l’agroécologie comme l’avenir de l’alimentation, un défi majeur mais un sujet très complexe. Le projet du jeu s’est imposé car tout l’intérêt du jeu à impact, c’est de vivre l’expérience pour mieux comprendre. Le joueur ne reste pas passif comme devant un documentaire. Il réalise que ses choix ont des conséquences, par contre il peut se tromper sans conséquences dramatiques dans le jeu et apprendre de ses erreurs.

Pourquoi parler de jeu à impact ?

Nous préférons parler de jeu à impact plutôt que d’utiliser le terme serious game pour gommer le côté trop sérieux de l’appellation. De plus, il manquerait la notion d’impact qui est très importante pour nous qui voulons changer le regard sur des sujets sociétaux par la formation et le jeu. Nous sommes vraiment convaincus de l’impact de nos jeux sur la société et les individus. D’ailleurs, nous réalisons une enquête d’impact sur nos jeux avec une sociologue qui travaille pour nous et qui fait une thèse sur ce sujet.

Publié le 13/09/2021 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Roots of Tomorrow par Gamabilis

Gamabilis est un studio qui conçoit et développe des « games for change », des jeux vidéo pour encourager le changement des comportements et contribuer à l’intérêt général. Roots of Tomorrows est un jeu de gestion et de simulation en milieu agricole qui propose d’évoluer vers l’agroécologie. Sortie du jeu en octobre 2021 sur PC et Mac.

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