La fibre du jeu de rôle
Entretien avec FibreTigre

Comment fonctionne un jeu de rôle ?

C’est un jeu de société, lors duquel plusieurs joueurs se retrouvent autour d’une table et sont dirigés par un meneur ou une meneuse de jeu. Il ou elle raconte une histoire dont les joueurs sont les héros. Les participants ne connaissent pas l’histoire à l’avance, alors ils essaient d’agir de façon cohérente dans le scénario. Ils ne sont pas contre le meneur de jeu, au contraire, le but est de créer collectivement la meilleure histoire possible. C’est un effort de création.

Depuis quand joue-t-on ?

Le jeu de rôle existe depuis la seconde partie du 20^e siècle, même si le principe a toujours plus ou moins existé. Il est notamment utilisé comme outil pédagogique. Par exemple, c’est comme ça que les étudiants en médecine s’entraînent à pratiquer : un étudiant simule des symptômes et un autre essaie de comprendre ce qui se passe. Le jeu de rôle, c’est pareil, le plus souvent dans des contextes imaginaires. Les joueurs réalisent des actions, qui sont parfois validées ou non par des dés, et qui s’inscrivent dans un canevas de règles qui peuvent être très complexes. Par exemple, Donjons et Dragons, c’est trois cents pages de règles ! Mais même pour un jeu simple, il faut compter au moins quatre pages.  

Malgré ses trois cents pages de règles, Donjons et Dragons reste un incontournable…

Oui, un peu comme certains pensent que Facebook, c’est Internet, beaucoup croient que le jeu de rôle, c’est Donjons et Dragons. Dans de nombreux pays, ce jeu représente plus de 90 % de parts de marché. Ce n’est pas le cas en Allemagne ou en France, où il existe une diversité de jeux, même si Donjons et Dragons couvre 60 % de parts de marché. Son succès s’explique par son ancienneté et par le fait qu’il est associé à J. R. R. Tolkien (même si nous ne pouvons juridiquement pas dire que c’est de Tolkien, car les concepteurs n’ont pas obtenu les droits).  

Ce jeu est très américain, dans le sens où il y a un certain manichéisme. Les joueurs sont récompensés par des points et de l’argent quand ils tuent. C’est un point de vue qui encourage la violence. Toutefois, le jeu est en train de se déconstruire, il est dans une démarche de changement vertueuse.

Le jeu de rôle est très à la mode. Comment expliquez-vous son succès ?

Le jeu de rôle est arrivé en Europe dans les années quatre-vingt. Un peu plus tard, dans les années quatre-vingt-dix, il y a eu une sorte de chasse aux sorcières au motif qu’il était un vecteur de propagation du satanisme et, pratiquement du jour au lendemain, les clubs ont fermé. Ça a mis au ban le jeu de rôle, dans un contexte où le jeu vidéo commençait à écraser toutes les autres pratiques culturelles. 

Et puis, à la fin des années quatre-vingt-dix, les MMORPG (les « jeux de rôle en ligne massivement multijoueur » de l’anglais Massively Multiplayer Online Role Playing Game), comme World of Warcraft (1994), sont arrivés. Le jeu de rôle a de nouveau été pratiqué et il est devenu un mode de vie pour toute une nouvelle génération. 

Aujourd’hui, le jeu se regarde beaucoup sur Twitch, la plateforme de streaming vidéo en direct et interactive. Comme des gens branchés y pratiquent le jeu de rôle, et que des marques comme World of Warcraft utilisent la plateforme pour se promouvoir, les enfants trouvent que le jeu de rôle, c’est aussi cool que le jeu vidéo, même s’ils n’y jouent pas. 

Le jeu de rôle sur Twitch, qu’est-ce que ça apporte ?

Aujourd’hui, les jeunes consomment de la vidéo sur Internet, par exemple sur TikTok ou sur Twitch. L’actual play, le jeu de rôle filmé, est un spectacle qui rencontre beaucoup de succès et qui peut réunir des dizaines de milliers de spectateurs. Pour moi, le jeu de rôle, c’est du théâtre déguisé et l’actual play, du théâtre filmé. C’est super que ça plaise aux jeunes, car le théâtre dans sa forme classique souffre d’une image ringardisée, alors qu’avec l’actual play, ils sont au rendez-vous. Les grandes marques l’ont d’ailleurs bien compris et commencent à mettre moins d’argent dans la télé pour le mettre sur Twitch. 

Ça semble être un domaine très masculin. Y a-t-il des joueuses ?

C’est un secteur profondément masculin, depuis toujours. En ce moment, j’anime Game of Reroll, un actual play avec uniquement des joueuses, qui avait été lancé en collaboration avec le site Madmoizelle. Réunir quatre joueuses autour de la table permet au public féminin de se projeter. Par ailleurs, je remarque que plus il y a de diversité et de mixité dans le public, plus la communauté est tolérante, chaleureuse, solide, et plus la table fournit un spectacle de qualité. L’industrie est consciente de cette féminisation de la communauté et s’y intéresse, ne serait-ce que pour des raisons commerciales. D’ailleurs, dans la gamme de jeux Role’n’Play, éditée par Black Book éditions, le guide du « meneur de jeu », s’appelle désormais le guide de « la meneuse », ce qui a provoqué de forts débats. Certains jeux utilisent des pronoms comme « iel » dans leurs livres ou genrent leurs exemples au féminin. 

Il faut repenser le jeu de rôle pour éviter les comportements violents. Ça passe notamment par la réécriture des scénarios. Dans un jeu traditionnel, un village va par exemple être menacé par une bande d’orques maléfiques, et il faudra tous les tuer. Aujourd’hui, on privilégiera des contextes moins propices aux comportements malveillants, comme des histoires d’amour, d’explorations, de mystères.

---

La sélection de FibreTigre : trois jeux pour s'initier au jeu de rôle

---

---

---