Industrie du jeu vidéo : Game over ou Start again ?
Pendant la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris, le porteur de flamme apparaît sous les traits iconiques du héros d’Assassin’s Creed. Une célébration de la puissance de l’industrie vidéoludique française qui tranche avec la réalité d’un secteur en crise. À l’occasion de la sortie d’Assassin’s Creed Shadows le 20 mars 2025, Balises explore l’économie fragile du gaming, tiraillée entre des restructurations massives et la nécessité d’une mutation en profondeur.
En 2024, l’industrie du jeu vidéo a totalisé 14 600 licenciements dans le monde, soit 4 000 de plus qu’en 2023, selon le rapport annuel d’Achievement Industry, portail dédié à l’emploi et à l’annuaire d’entreprises et d’écoles spécialisées dans l’industrie du jeu vidéo. La vague est partie des États-Unis et se répand partout. Restructurations, changements de gouvernance, plans de licenciement et dépôts de bilan sont le lot de nombreux studios aujourd’hui.
En France, comme ailleurs, les salarié·es du secteur sont touché·es de plein fouet. Récemment, le studio français Don’t Nod, qui a créé Life is strange (2015), Tell Me Why (2020) et Jusant (2023), s’est séparé d’un tiers de ses effectifs. Le géant Ubisoft n’échappe pas non plus à la tempête. Le développeur français, à l’origine des très réputés Assassin’s Creed (premier volet sorti en 2007), Les Lapins crétins (2007), Watch Dogs (2014) et Watch Dogs: Legion (2020), a enregistré une chute en Bourse de plus de 40 % sur un an et fermé plusieurs de ses antennes aux États-Unis, au Japon et en Europe. En grande difficulté, Ubisoft menace d’être racheté.
Triple A : la crise d’un modèle
Ces chiffres donnent raison à Jason Schreier, qui affirme dans Press Reset. Désastres et reconstructions dans l’industrie du jeu vidéo (2022) que « l’industrie du jeu vidéo a un côté obscur ». Le journaliste américain, auteur de plusieurs enquêtes menées sur le terrain, ne mâche pas ses mots : « Alors que chaque année, les sociétés vidéoludiques engloutissent encore plus d’argent, nombre d’entre elles ne parviennent pas à fournir un environnement stable et sain à leurs employés. Il suffit d’un flop ou d’une mauvaise décision commerciale pour qu’un éditeur de jeux vidéo pesant un milliard de dollars se retrouve à procéder à des licenciements massifs ou à fermer un studio de développement, quoi qu’il ait pu gagner cette année-là. »
Selon Olivier Mauco, chercheur en sciences politiques et game studies, et fondateur de l’Observatoire européen du jeu vidéo, il est nécessaire de nuancer ce constat : « Il n’y a pas forcément une crise du jeu vidéo, mais plutôt des crises qui concernent surtout le modèle du triple A sur console. Cet équivalent du blockbuster hollywoodien pour le cinéma va mal et fait tanguer le navire. » Les jeux à gros budget, à l’instar de Spider-Man 2 dont le développement a coûté plus de 300 millions de dollars, peinent à rentabiliser leurs coûts de production. En parallèle, la montée en puissance des jeux multijoueur·euses gratuits comme Fortnite, marque un véritable tournant dans l’industrie. Les préférences des utilisateurs et utilisatrices évoluent au profit de jeux en ligne accessibles et collectifs.
Les causes d’une spirale infernale
Le scénario de la crise actuelle embarque les acteurs du jeu vidéo dans une spirale infernale. Tout semblait pourtant aller pour le mieux il y a seulement quelques années. Emmanuel Forsans, directeur de l’Agence française pour le jeu vidéo (AFJV), explique dans un entretien accordé à France info en décembre 2024, que la crise du Covid-19 a constitué un tournant. À cette période, la surconsommation vidéoludique a conduit les investisseurs à s’engouffrer dans la brèche et les studios à pratiquement doubler leurs effectifs. Or, depuis le déconfinement, les habitudes de consommation sont revenues à la normale. « Les jeux qui sortent ne sont absolument pas rentables », précise-t-il.
Olivier Mauco abonde dans ce sens et souligne une mutation fondamentale dans l’industrie : « Les gens n’achètent plus de jeux à 70 €, ils préfèrent les micropaiements à moins de 10 € pour des accessoires ou des expériences dans les jeux. » Les services d’abonnement, comme le Xbox Game Pass, ou les plateformes de vente dématérialisées, telles que Steam, ont également modifié les habitudes d’achat : les jeux « vivants » sont désormais privilégiés pour leur capacité à évoluer et à proposer régulièrement de nouveaux contenus. Parmi les plus réputés, League of Legends et les jeux de la plateforme Roblox qui se distinguent particulièrement sur le marché.
Dans le même temps, le modèle des grandes franchises flanche. Lancé en 2024 par Ubisoft, le jeu Star Wars Outlaws a coûté entre 229 et 275 millions d’euros et n’a pas connu le succès escompté. De même, Harmony: The Fall of Reverie (2023), Jusant (2023), et surtout Banishers: Ghosts of New Eden (2024), pourtant bien accueillis par la critique, sont des échecs commerciaux pour le studio Don’t Nod. « Imaginer des grosses productions sur sept ans, c’est devenu très risqué, sauf à atteindre des économies d’échelle délirantes, comme pour GTA-6, déjà estimé à 2,2 milliards de dollars alors qu’il est à peine lancé », explique Olivier Mauco.
Vers une sortie de crise
Symptomatique de ce modèle « à l’ancienne », la sortie du nouvel opus de la saga Assassin’s Creed, initialement prévue à l’automne 2024, a été reportée deux fois par Ubisoft. Mais les crises, aussi profondes soient-elles, peuvent, aussi, être des opportunités de transformation. Olivier Mauco insiste sur la nécessité de « capter les joueurs sur le long terme grâce à des mises à jour constantes et une logique de “game-as-a-service”. »
Le futur du jeu vidéo pourrait bien se jouer entre les murs des studios indépendants. Avec des titres comme Among Us, le chercheur rappelle que « la créativité n’est plus nécessairement associée à la performance technique, mais à l’histoire, au gameplay [l’expérience de jeu] et au design ». Ces jeux, souvent produits avec des moyens modestes, répondent à une demande croissante pour des expériences originales et accessibles.
Publié le 17/03/2025 - CC BY-SA 4.0
Pour aller plus loin
Press reset. Désastres et reconstructions dans l'industrie du jeu vidéo
Jason Schreier
Mana books, 2022
L’auteur à succès de l’essai Du sang, des larmes et des pixels nous dévoile de nouvelles coulisses de l’Industrie du jeu vidéo : comment certains des studios les plus célèbres de la dernière décennie se sont effondrés – et les histoires, à la fois triomphantes et tragiques, de ce qui s’est passé ensuite. Dans ce nouvel ouvrage documenté, Jason Schreier porte son regard d’enquêteur sur la volatilité de l’industrie des jeux vidéo et sur la résilience des personnes qui y travaillent. (4e de couverture)
À la Bpi, GE JEU S
Jeux vidéo, hors de contrôle ? Industrie, politique, morale
Olivier Mauco
Questions théoriques, 2014
Une histoire de la réception et de la régulation des jeux vidéo en France ces trente dernières années dont l’auteur, lui-même joueur, docteur en science politique, consultant et game designer, se propose de dépasser les clichés qui font du joueur un criminel potentiel ou encore la victime d’une industrie productrice de dépendants aux opiacés numériques.
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