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Appartient au dossier : L’État et les institutions religieuses en France

L’État et les institutions religieuses en France #4 : les exceptions régionales à la loi de 1905

La loi de 1905 instaurant la séparation des Églises et de l’État indique dans son article 2 que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. » Cependant, le financement des Églises par la puissance publique a fait l’objet, pour des raisons historiques, de dérogations régionales. Balises revient sur ces particularités locales, à l’occasion de la rencontre « Les institutions religieuses dans et face à l’Histoire » organisée à la Bpi en juin 2023.

Des hommes en costumes religieux et civils autour d'une table
Signature du Concordat entre le Gouvernement français et sa Sainteté Pie VII, pour le rétablissement du culte catholique en France : [estampe] – Gallica BNF

Histoire du concordat… et persistance en Alsace-Moselle

Après le coup d’État du 18 Brumaire, Bonaparte, Premier consul, doit régler la crise religieuse qui agite la France depuis la Révolution. Il souhaite rattacher la religion – essentiellement catholique, à laquelle les Français·es sont resté·es fidèles – à l’État, comme elle l’était auparavant à la monarchie, désormais abolie.​

Avec le pape Pie VII, Napoléon signe donc le concordat en 1801 pour organiser les cultes en France et les garder sous la tutelle des pouvoirs publics, qui nomment les autorités religieuses en accord avec le Vatican. Le culte catholique, majoritaire, peut ainsi être prise en charge par l’État : les ministres du culte sont salariés, les lieux de culte financés, et l’enseignement religieux à l’école devient obligatoire. À partir de 1802, les cultes luthériens et réformés sont inclus dans le régime concordataire et leurs ministres également salariés. Le culte israélite y est inclus en 1808, mais il faut attendre 1830 pour la mise en place d’une rémunération des rabbins. 

Ce concordat, appliqué dans l’ensemble du pays, fait l’objet de luttes politiques tout au long du 19e siècle : les conservateurs catholiques et l’Église s’opposent aux républicains et à la bourgeoisie libérale, en particulier quant au statut de l’enseignement. La loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État met fin à ces débats, en même temps qu’au régime concordataire dans l’ensemble du pays. 

L’Allemagne, qui domine l’Alsace-Moselle de 1871 à 1918, conserve les lois concordataires, tout en y mettant en place de nouvelles lois sur la sécurité sociale, le régime des sociétés, ou la liberté communale, etc., inexistantes en France. En 1920, lorsque paraissent les premiers décrets d’application liés au traité de Versailles, il paraît vain de réformer entièrement le droit d’Alsace-Moselle, qui présente des dispositions vers lesquelles la France souhaite évoluer. Le concordat est ainsi préservé, parmi d’autres franchises régionales.

Malgré tout, son maintien fait l’objet de vives oppositions, entre autres de la part du Cartel des gauches, la coalition au pouvoir en France en 1924. Le 24 janvier 1925, le Conseil d’État valide cependant la prolongation de la loi de 1801 pour l’Alsace-Moselle. Cette décision est encore confirmée le 21 février 2013 par le Conseil constitutionnel… ce qui n’a pas mis un terme aux débats. La loi alsacienne en matière religieuse connaît toutefois quelques évolutions : le délit de blasphème est aboli dans la région en 2017 et la loi confortant le respect des principes de la République de 2021 , dite loi « Séparatisme », est venue renforcer le contrôle de l’État sur les subventions accordées aux cultes concordataires.

Le concordat de 1801 s’applique aux seuls cultes présents sur le territoire à l’époque de son adoption. Les religions plus récemment apparues en Alsace-Moselle, comme l’islam, le bouddhisme ou le christianisme orthodoxe disposent d’un statut similaire à celui qui prévaut dans le reste du pays. Les demandes déposées pour permettre à ces nouvelles religions de disposer du statut concordataire ont, jusqu’à ce jour, toutes été rejetées. Leurs institutions peuvent cependant disposer d’un statut spécifique – qui diffère de celui des « associations cultuelles » mises en place par la loi de 1905 –, en se déclarant « associations inscrites de droit local à objet cultuel ». Ces organisations peuvent recevoir des dons, y compris de la part des collectivités locales, et posséder des locaux sans limitations, mais sous réserve de les déclarer à l’autorité administrative.

Exceptions propres à l’Alsace-Moselle

Grâce à ce statut particulier, la région fait figure d’exception sur trois points en particulier :

Rémunération des ministres des cultes

Les pasteur·es, prêtres et rabbins sont payé·es par le ministère de l’Intérieur pour un montant annuel total de 58 millions d’euros en 2023. 1 397 représentant·es des religions occupent ainsi des emplois publics : 77 % sont occupés par des catholiques, 20 % par des protestant·es et 3 % par des juif·ves. Ils reçoivent tous·tes un salaire équivalent : entre 1 600 euros en début de carrière, et 2 600 euros net. Aux grades les plus élevés, les rémunérations varient selon le nombre des fidèles : l’évêque d’Alsace touche 4 171 euros par mois quand le grand rabbin de Strasbourg est rémunéré à hauteur de 2 624 euros.

Éducation religieuse

Autre exception à la laïcité, l’Alsace-Moselle a maintenu des cours d’enseignement de la religion dans les écoles publiques de la classe de CP à la Terminale. Cet enseignement vise à découvrir les différentes religions reconnues dans la région et les textes bibliques ; il ne s’agit donc pas d’un catéchisme. Si ces cours sont théoriquement obligatoires, des dérogations parentales peuvent être demandées ; elles sont désormais systématiquement accordées. L’Observatoire de la laïcité notait, en 2010, que 63 % des élèves suivaient l’enseignement religieux à l’école primaire, mais n’étaient plus que 30 % au collège et 14 % au lycée… au point qu’il a été proposé de rendre optionnel cet enseignement.

Enfin, la région propose des enseignements de théologie dans les universités publiques ; cet enseignement n’est possible, dans le reste du pays, qu’au sein de facultés confessionnelles.

Gestion des édifices catholiques

Conséquence du Concordat, la loi du 30 décembre 1809 a mis en place les « fabriques d’église », ou « conseils de fabrique » qui perdurent en Alsace-Moselle : ces établissements publics sont chargés de veiller à l’entretien des édifices du culte catholique et d’en assurer la bonne gestion administrative. Il n’existe pas d’équivalent pour les synagogues et les temples protestants. 

Les conseils sont composés d’entre cinq et neuf membres, selon la taille des communes, comprenant des membres de la paroisse ainsi que le curé et le ou la maire. Iels sont chargé·es de gérer le budget, suivre les travaux et les marchés passés avec des entrepreneur·ses et s’assurer du bon usage des dons et subventions.

Outre-mer

La loi de séparation des Églises et de l’État n’a pas statué sur le sort des colonies et des territoires ultramarins, dont elle remettait le règlement à plus tard. En 1911, il est décidé d’appliquer la loi à la Guadeloupe, la Martinique et la Réunion. Ailleurs, un flou juridique s’installe… À la fois pour des raisons idéologiques – l’évangélisation étant perçue comme favorable à la transmission des valeurs occidentales – et pour des raisons pratiques – les missions religieuses ayant traditionnellement occupé des fonctions d’ordre public en matière d’éducation, de santé ou même d’administration –, certains territoires ultramarins échappent à la loi de 1905. En 1939, les décrets Mandel accordent aux territoires non-concernés par la loi de 1905 un statut particulier. 

Ces décrets dotent les missions religieuses d’une personnalité juridique de droit public, qui leur permet de représenter l’État dans certaines de ses fonctions : sous la tutelle du préfet, elles disposent ainsi d’attributions dans les domaines scolaires, sanitaires et sociaux. Les décrets Mandel – qui s’appliquent encore en Guyane, Polynésie française, Wallis-et-Futuna, Saint-Pierre-et-Miquelon, Nouvelle-Calédonie et Mayotte – instituent les « conseils d’administration des missions religieuses ». Ceux-ci peuvent bénéficier de subventions publiques et d’avantages fiscaux. En outre, les missions ont la liberté de gérer les biens leur appartenant et d’en acquérir de nouveaux, y compris pour des fonctions ne relevant pas de l’exercice du culte, par exemple acheter ou construire des écoles, des dispensaires ou des centres sociaux.

La Guyane applique en outre le régime de l’ordonnance royale de Charles X du 27 août 1828, qui reconnaît le seul culte catholique et rémunère l’évêque et les prêtres, via le conseil général de Guyane. De nombreuses autres dispositions juridiques particulières s’appliquent à ces différents territoires, selon les besoins et la sociologie locale.

Les décrets Mandel sont régulièrement contestés, et font l’objet de dépôts d’amendements ou de questions au gouvernement, pour l’une ou l’autre de ces collectivités ou l’ensemble d’entre elles. L’actualité juridique est ponctuellement émaillée d’incidents concernant les subventions aux cultes dans ces régions : la rémunération des prêtres en Guyane ou la reconstruction d’un temple évangélique en Polynésie ont conduit à saisir la justice. Mais celle-ci, comme les gouvernements successifs, a jusqu’ici toujours confirmé le maintien d’un régime d’exception.

Publié le 26/06/2023 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Politiques de la laïcité au XXe siècle

Patrick Weil (dir.)
PUF, 2007

Le propos de ce livre collectif n’est pas de célébrer la loi de 1905 ni de méditer sur son sens et son esprit, mais de porter un nouvel éclairage sur les faits, d’une part, au moment de l’élaboration de la loi et de son adoption, et, d’autre part, sur sa mise en œuvre depuis un siècle. Le développement de l’islam et son influence sur le modèle républicain laïc d’intégration est aussi abordé.

À la Bpi, niveau 2, 323.9 POL

Relations, Églises et autorités outre-mer, de 1945 à nos jours

Jean Baubérot et Jean-Marc Regnault (dir.)
Les Indes savantes, 2008

Contributions autour des rapports actuels entre les Églises et les autorités dans l’outre-mer français mettant en évidence des situations multiples et diverses : application limitée de la loi de séparation, mesures d’adaptation prévues pour les DOM, intérêts propres reconnus aux TOM par le biais de statuts d’autonomie.

À la Bpi, niveau 2, 323.9 REL

Institut du droit local alscacien-mosellan (IDL)

Produit de l’histoire mouvementée des départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, le droit local alsacien-mosellan est un élément structurant de l’identité de ces départements.

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