Connu mais pas lu !
Au tout début des années 1930, Nabokov se trouve dans une situation paradoxale : saluée dans des revues françaises par des critiques enthousiastes, son oeuvre, non encore traduite, reste inaccessible au public français.
Agnès Edel-Roy retrace les premiers temps de la réception nabokovienne dans son article : « L’au-delà nabokovien de l’exil français » (dans Figures de l’émigré russe en France au XIXème et XXème siècle, Rodopi, 2012).
« Le premier article, publié dans Les Nouvelles littéraires, date du 15 février 1930 : le public français peut lire un article extatique, écrit en français par le critique d’art d’origine russe, André Levinson, qui analyse le choc qu’il a ressenti à la lecture de La Défense de Loujine, proclame le « moins de 30 ans » « maestro de la chose littéraire » et qualifie Sirine de « Russe d’Occident » qui « dans aucune de ses oeuvres […] ne prend position dans la querelle des deux Russies ».
« En avril 1931, dans la presse littéraire française, paraît la première étude écrite en français sur son oeuvre romanesque. L’auteur, certainement Gleb Struve, oppose Sirine au roman russe qui a toujours cherché à reproduire ou à recréer la vie et caractérise ainsi son art : Sirine « proclame la souveraineté absolue de l’écrivain, son égalité avec la vie, son droit de créer sur un plan parallèle à la réalité » ; et ajoute : « On ne trouve une analogie avec cet ‘arbitraire créateur’ que dans l’oeuvre d’un seul contemporain : Jean Giraudoux. » (Anonyme, « Les « romans-escamotage » de Vladimir Sirine », Le Mois, avril 1931)
Il faut attendre juin 1931, ajoute Agnès Edel-Roy pour que le public français puisse lire dans sa langue un texte de Sirine : Les Écrivains et l’époque paraît, toujours dans Le Mois. L’article est suivi d’un portrait de lui en français, plutôt long, intitulé : « Vladimir Nabokoff Sirine, l’amoureux de la vie », où est soulignée sa différence d’avec la littérature russe :
« Son oeuvre littéraire, qui témoigne d’un très grand souci de la forme et de la composition, traduit fort bien sa personnalité. Il n’y a rien de lâche, d’inutile, d’informe dans la construction de ses romans […]. En cela, peut-être Sirine sort-il de la ligne générale de la littérature russe. Le « démesuré » propre à Dostoïevski, le dessin un peu délié et touffu, aux traits larges et confus, de Tolstoï lui sont étrangers. C’est qu’il manque à Sirine cette « saine inquiétude » si caractéristique de la littérature et de la pensée russes : son intérêt avide pour la vie, le rend, comme un de ses personnages, invulnérable. » ([Anonyme], ‘Vladimir Nabokoff Sirine, l’amoureux de la vie’, Le Mois, juin 1941)
Selon Agnès Edel-Roy, « La France était encore, à ce moment-là de la carrière de Nabokov, une terre désirée et amie : jusqu’à son installation en France, les soirées de lectures organisées lors des trois séjours qu’il fit à Paris, en 1932, 1936 et 1937, attestent de l’élargissement progressif de son lectorat français ; ses romans commençaient à être publiés régulièrement : après La Course du Fou (première traduction de Zachita Loujina) et Chambre obscure, publiés en 1934, L’Aguet (première traduction de Sogliadataï) paraît en 1935 en France, avant même la publication du volume russe. »
Autour de Nabokov
Parmi les personnalités du Paris littéraire de l’époque, Nabokov rencontre ses traducteurs Denis Roche et Doussia Ergaz – cette dernière allait devenir son principal agent en Europe – le poète Jules Supervielle, avec qui il devint rapidement ami, le philosophe et dramaturge Gabriel Marcel, et surtout Jean Paulhan.
Jean Paulhan (1884-1968) est au coeur de la vie littéraire parisienne. Par ses fonctions à La Nouvelle Revue française, il rencontre tous les écrivains français et étrangers de l’époque. Enthousiasmé par la lecture de Mademoiselle O, il propose à Nabokov de la publier dans la revue Mesures (1935-1940), dont il est rédacteur en chef. Puis en 1937, dans la N.R.F. paraîtra « Pouchkine, ou le vrai et le vraisemblable ».
Mademoiselle O, directement écrit en français, est le portait de son institutrice suisse, Cécile Miauton, « très forte, toute ronde comme son nom », et le récit de la part française de son enfance en Russie, entre Saint-Pétersbourg et les domaines familiaux de Vyra et de Rojdestveno.
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