Sélection

Appartient au dossier : Les Blank, Ross Brothers : l’Amérique en périphérie

Le sud des États-Unis au cinéma

Les représentations du sud des États-Unis au cinéma racontent des pans entiers de l’histoire politique, sociale et culturelle du pays, depuis Naissance d’une nation (1915) jusqu’aux Bêtes du Sud sauvage (2012), en passant par Autant en emporte le vent (1939), sans même parler de séries contemporaines telles que True Blood (2008-2014), Treme (2010-2013), ou la première saison de True Detective (2014). Balises vous propose une sélection d’ouvrages pour mieux comprendre les enjeux portés par les films sur le sud états-unien, alors que la Cinémathèque du documentaire à la Bpi propose, en 2023, un cycle autour de documentaristes américains passionnés par cette vaste région : Les Blank et les frères Ross.

Évolution des États sécessionnistes et de leur réintégration dans l’Union, entre 1861 et 1870 – Golbez, CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons

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De la Floride au Texas en passant par l’Alabama, le Mississippi, la Louisiane, la Caroline du Sud et la Géorgie, le sud des États-Unis désigne d’abord les sept États qui firent sécession, en 1861, contre la politique abolitionniste d’Abraham Lincoln, et se réunirent sous le drapeau confédéré jusqu’à la fin de la guerre civile, en 1865. Ce territoire, dominé par l’agriculture, fondé sur l’esclavage et marqué par la guerre, est également d’une grande richesse culturelle.

Les récits du Sud sont entrepris par des auteurs tels que Mark Twain, William Faulkner, Harper Lee ou Tennessee Williams, et sont repris et renouvelés au cinéma dès 1903, lorsque Edwin S. Porter adapte à l’écran La Case de l’oncle Tom, le roman écrit en 1852 par Harriet Beecher Stowe. Le Sud devient alors le lieu d’un imaginaire cinématographique débordant, marqué par le soleil, les plantations et la végétation luxuriante, la nostalgie d’un ordre passé et d’un paradis perdu, les figures de rednecks et les fantômes de l’esclavage, la religion et la musique, le romantisme et la violence… 

Certaines productions ont tendance à entretenir une vision fantasmatique du Sud, comme Naissance d’une nation de David W. Griffith (1915) ou encore Autant en emporte le vent de Victor Fleming (1939). D’autres jouent avec les clichés associés à cet espace référentiel, à l’image de Délivrance de John Boorman (1972) ou Minuit dans le jardin du bien et du mal de Clint Eastwood (1997). Certains films mettent directement en crise l’image du sud états-unien : on peut penser à Un tramway nommé désir d’Elia Kazan (1951), Mississippi Burning d’Alan Parker (1988), Retour à Cold Mountain d’Anthony Minghella (2003) ou Les Bêtes du Sud sauvage de Benh Zeitlin (2012).

Quelle que soit leur approche, tous les genres hollywoodiens s’emparent massivement de cet espace narratif si typiquement états-unien, de la comédie musicale (Porgy and Bess, Otto Preminger, 1959), au road movie (Easy Rider, Dennis Hopper, 1969), en passant par la comédie (O’Brother, Joel et Ethan Coen, 2000), la comédie dramatique (La Couleur des sentiments, Tate Taylor, 2011), le film policier (Dans la brume électrique, Bertrand Tavernier, 2009), le film de guerre (Rio Grande, John Ford, 1950), le film d’horreur (Massacre à la tronçonneuse, 1974-2022)… et, bien entendu, le documentaire, avec des cinéastes comme Les Blank et les frères Ross.

Balises vous propose quelques ouvrages pour découvrir la diversité des représentations du sud des États-Unis au cinéma, et pour mieux en saisir les enjeux esthétiques et historiques.

Publié le 17/04/2023 - CC BY-SA 4.0

Notre sélection

Le Sud au cinéma, de The Birth of a Nation à Cold Mountain

Marie Liénard-Yeterian et Taïna Tuhkunen (dir.)
École polytechnique, 2009

Premier ouvrage en français consacré aux images du sud des États-Unis popularisées et problématisées par le cinéma, Le Sud au cinéma est codirigé par deux maîtresses de conférences spécialistes de la littérature et du cinéma de ce territoire américain. Une introduction historique contextualise d’abord les fantasmes sur lesquels s’appuient les représentations cinématographiques du Sud, en insistant sur le rôle fondateur de Naissance d’une nation de David W. Griffith (1915).

Puis, une série de treize articles, certains en anglais et d’autres en français, propose des approches par thématique, par film ou par cinéaste. On peut ainsi lire une étude sur le traitement de la guerre de Sécession, une sur le « cinéma de rednecks », mais aussi un article sur la Floride dans Certains l’aiment chaud, de Billy Wilder (1959) et un autre sur l’adaptation de l’Odyssée d’Homère dans O’Brother des frères Coen (2000). Une riche bibliographie anglophone et un index des films cités enrichissent l’ouvrage.

À la Bpi, niveau 3, 791(73) LIE

Demain sera un autre jour. Le Sud et ses héroïnes à l'écran

Taïna Tuhkunen
Rouge profond, 2013

De célèbres actrices hollywoodiennes, telles que Bette Davis, Vivien Leigh, Shirley Temple ou Elizabeth Taylor, ont incarné à l’écran des héroïnes sudistes, nous rappelle Taïna Tuhkunen en introduction de cet ouvrage, issu de son habilitation à diriger les recherches (HDR) en littérature et cinéma. Ces Southern Belles (Belles du Sud) matérialisent et mythifient à elles seules un espace aussi historique que fantasmatique : celui de la « Cause perdue », une idéologie ségrégationniste revendiquée depuis la guerre de Sécession.

Après une introduction en forme de portrait des ladies sudistes, l’ouvrage se structure en sept chapitres thématiques qui traversent l’histoire du cinéma, du début du 20e siècle à 2011. Taïna Tuhkunen analyse d’abord les adaptations de La Case de l’oncle Tom au prisme de ses personnages féminins. Puis, elle s’arrête longuement sur Naissance d’une nation à travers le personnage fondateur de Belle du Sud incarné par Lilian Gish. L’autrice souligne ensuite une mutation des représentations de la Southern Belle à l’arrivée du cinéma parlant, en étudiant notamment Autant en emporte le vent et l’ardeur de son héroïne, Scarlett O’Hara. Elle évoque, dans le chapitre suivant, la figure de la Mammy, esclave noire loyale à sa maîtresse, notamment incarnée à de multiples reprises à l’écran par Hattie McDaniel. Les trois derniers chapitres parlent des enjeux du métissage, de la manière dont les portraits de Belles sont ébranlés par la modernité à partir des années 1950, et dont elles peuvent devenir des figures inquiétantes dans les films qui mettent en crise les représentations du Sud.

À la Bpi, niveau 3, 791(73) TUH

Cinéma métis aux États-Unis. Représentations de la frontière Mexique/États-Unis

Élyette Benjamin-Labarthe (dir.)
Maison des sciences de l'homme Aquitaine, 2012

Sous la direction d’Élyette Benjamin-Labarthe, maîtresse de conférences spécialiste de la culture nord-américaine, cet ouvrage rassemble des contributions en français et en anglais qui explorent, à travers des exemples précis, les enjeux liés aux représentations cinématographiques de la frontière entre États-Unis et Mexique. 

Le premier article retrace l’histoire de l’imaginaire de la frontière dans le cinéma américain, mexicain et chicano, et le dernier évoque plus spécifiquement la genèse du cinéma chicano. Les autres articles, à l’exception de celui d’Anne Crémieux qui analyse la frontière comme un espace de transgression en s’appuyant sur plusieurs œuvres, s’arrêtent chacun sur un film. On peut ainsi lire des analyses de classiques hollywoodiens comme La Soif du mal d’Orson Welles (1958) ou Rio Grande de John Forde (1950) ; de films plus récents comme Le Jour d’après de Roland Emmerich (2004), Trois enterrements de Tommy Lee Jones (2005) ou No Country for Old Men de Joel et Ethan Coen (2007) ; mais aussi d’œuvres expérimentales telles que Crucero/Crossroads de Ramiro Puerta et Guillermo Verdecchia (1994) ou Border Brujo d’Isaac Artenstein (1989).

À la Bpi, niveau 3, 791(73) CIN

Le Rio Grande et la Frontière USA-Mexique mis en scènes

Clément Brault et Romain Houeix
Espaces et signes, 2020

Les journalistes Clément Brault et Romain Houeix ont coécrit ce petit livre de la collection « Ciné voyage » évoquant le Rio Grande, fleuve qui sépare le Texas du Mexique, à travers ses enjeux cinématographiques, et replaçant, sur différentes cartes thématiques, les lieux de plusieurs films.

Après une introduction sur les représentations filmiques de la frontière, l’ouvrage est structuré en quatre chapitres. Le premier rappelle que le Rio Grande a été montré comme un lieu de naissance de la nation états-unienne, en opposition aux peuples autochtones et aux Mexicain·es. Le deuxième chapitre explique comment le personnage stéréotypé du Mexicain est venu remplacer celui de l’Indien dans une certaine mythologie cinématographique. Le troisième chapitre analyse les représentations des forces de l’ordre, en lien avec le trafic de drogue. Enfin, le dernier chapitre évoque les récits de migrations.

Le style est simple et clair, et de nombreuses descriptions des films viennent éclairer le propos.

À la Bpi, niveau 3, 791.041 BRA

Quelques études de cas, pour aller plus loin

Dossier « Autant en emporte le vent de Victor Fleming », L'Avant-scène Cinéma n°691-692

Yves Alion (dir.)
Alice éditions, mars-avril 2022 

Ce riche dossier de la revue L’Avant-scène cinéma contient de nombreux articles thématiques sur le sujet du film, les acteur·rices, l’équipe artistique et technique ou encore le déroulement du tournage. Il propose aussi de précieux documents, comme une revue de presse de l’époque et la continuité dialoguée du film.

À la Bpi, niveau 3, 79(0) AVA

« Midnight in the Garden of Good and Evil : parcours et détours du Sud », par Marie Liénard | Revue française d’études américaines n°120, 2009/2

« Cet article se propose d’analyser la façon dont une même réalité factuelle (la ville de Savannah, ses habitants, un meurtre et les procès qui l’ont suivi) est traitée à la fois dans le best-seller de John Berendt et dans le film de Clint Eastwood. Les deux œuvres offrent des points de vue très différents sur le sud des États-Unis.

Le film, en particulier grâce à son utilisation du gothique et du grotesque et à la part qu’il accorde au surnaturel, participe de la Southernness de sa source d’inspiration autant qu’il l’élabore. Il s’inscrit dans ses paradoxes et son imaginaire en les recréant, et contribue finalement à « écrire le Sud », selon l’expression du critique Richard Gray, c’est-à-dire à élaborer un Sud qui est tout autant un mythe qu’une entité géographique. »

« Treme: New Orleans Remix », par Ariane Hudelet | TV Series n°3, 2013

« Les trois saisons de Treme diffusées jusqu’ici sur HBO montrent comment la vie, dans toutes ses formes (économique, sociale, culturelle) a repris son cours à La Nouvelle-Orléans après l’ouragan Katrina. […]

Treme est avant tout une recréation du rythme et du battement d’une ville : la musique accompagne les moments les plus signifiants des vies des personnages, et les étapes majeures du récit ainsi que l’évolution des personnages semblent suivre la structure typique du jazz — la récurrence des phrases soumise à des variations et des improvisations.

La combinaison des faits historiques et de la fiction permet aussi à Treme d’aborder des questions hautement politiques : il reflète la spécificité d’une ville qui refuse de céder et défend sa culture avec force.

Cet article se concentre sur la manière dont ces choix originaux narratifs et esthétiques réussissent à faire écho avec un questionnement politique sur la nature du traumatisme qui a frappé La Nouvelle-Orléans en 2005. »

[Article en anglais]

« True Detective : des ténèbres jaillit la lumière », par Jean-François Pigoullié | Esprit, 2014/11

« Parce que l’image qu’elle donne du Sud est celle d’une terre de violence, d’un pays en proie à la décadence, True Detective s’inscrit dans le courant littéraire du gothique sudiste (Faulkner, Caldwell, McCullers) dont les thèmes clefs sont le poids du passé et l’omniprésence du mal. »

À la Bpi, niveau 2, 0 ESP et sur Cairn.info

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