En chiffres

10 regroupements pour un nouveau paysage universitaire en Île-de-France

Plus d’un tiers des groupements universitaires de France, créés pour améliorer la visibilité des formations à l’international, sont concentrés sur le territoire francilien. Quels établissements sont rassemblés sous ces nouvelles étiquettes et dans quel but ? Balises vous propose une incursion dans ce paysage universitaire francilien recomposé, en écho à l’accrochage photographique Deux ou trois choses, de Hannah Darabi et Benot Grimbert, durant l’été 2022 à la Bpi. Les auteurs y brossent un portrait de la région parisienne à travers les déplacements de six étudiants.

Vue aérienne du quartier de l’École polytechnique et de l’ENSTA Paristech. Crédit photographique : © École polytechnique – J.Barande / Institut Polytechnique de Paris. CC BY-SA 2.0, via Flickr

Un contexte mouvant pour les regroupements d’établissements

Le marché mondial de la formation, de plus en plus concurrentiel, se mesure à l’aune des classements internationaux. Pour intégrer ces classements et donner plus de visibilité aux établissements français à l’international, mais aussi pour rationaliser les coûts, la stratégie française depuis les années deux mille consiste à réorganiser le paysage universitaire en misant sur le regroupement d’établissements de l’enseignement supérieur. La création de ces nouvelles entités permettrait de mutualiser les moyens et de coordonner la formation sur les territoires.

Entre 2007 et 2012, 27 pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) se sont constitués. Le statut peut varier : établissement public de coopération scientifique (EPCS), fondation de coopération scientifique (FCS) ou groupement d’intérêt public (GIP). Dans les faits, le statut d’EPCS est majoritaire et celui de GIP n’a pas été utilisé. Les PRES sont prioritaires dans l’attribution des « initiatives d’excellences » (Idex) accordés à partir de 2010, dans le cadre des programmes d’investissement d’avenir (PIA), un avantage non négligeable pour ces pionniers du regroupement.

En 2013, la loi Fioraso prône la coopération et impose à chaque établissement public d’enseignement supérieur de participer à une coordination, qu’il s’agisse d’une fusion d’établissement, d’une participation à une communauté d’universités et d’établissements (Comue) ou d’une association à un EPCS. Les EPCS déjà constitués deviennent automatiquement des Comue. Si la création d’une trentaine de Comue était envisagée, en 2014, seulement 19 Comue et 7 associations sont créées, soit 26 regroupements. Les réticences sont fortes et les résultats mitigés pour certains acteurs de l’enseignement, ce qui oblige le gouvernement à revoir sa copie. D’autant plus que les auteurs du Classement de Shanghai sont réticents à l’intégration de Comue dans leur classement. L’ordonnance du 12 décembre 2018autorise la création d’établissements publics expérimentaux (EPE), un statut qui offre plus de latitudes aux établissements et leur permet de conserver leur personnalité morale. On compte neuf EPE en décembre 2019 et plusieurs Comue sont dissoutes en 2020-2021.

Les dix regroupements de l’Île-de-France

En Île-de-France, les accords et tractations entre établissements se succèdent et aboutissent à la création de 8 Comue entre 2014 et 2015. Mais en 2021, seules 3 d’entre elles subsistent. Les autres regroupements prennent la forme d’EPE ou d’associations, d’autres accords naissent. Le territoire francilien comporte en 2021 une dizaine de regroupements plus larges que les Comue.

Trois regroupements sous statut de Comue

  • La Comue Université Paris Lumières (décret n° 2014-1677 du 29 décembre 2014). L’Université Paris Lumières, compte trois membres fondateurs : l’Université Paris 8 – Vincennes-Saint-Denis, l’Université Paris Nanterre et le CNRS, qui sont également membres du Campus Condorcet. Le Collège international de philosophie a rejoint cette Commue comme établissement-composante. D’autres établissements d’enseignement supérieur ont ensuite été associés, comme l’E.N.S. Louis-Lumière, ainsi que des établissements culturels : le Centre Pompidou, L’Institut national de l’audiovisuel, la Bibliothèque nationale de France… La stratégie scientifique de la Comue est centrée sur une forte spécialisation en sciences humaines et sociales avec des thématiques de recherche en collaboration avec ses partenaires, dans le domaine de la culture, patrimoine et médias et dans celui de l’intervention sociale.
  • La Comue Université Paris Est constituée en 2015 évolue en Comue expérimentale en 2020 (décret n° 2020-1506 du 1er décembre 2020). L’Université Paris Est est constituée de l’EPE Université Gustave-Eiffel (regroupement de l’Université Paris-Est – Paris Est Sup et de l’université de Marne-la-Vallée en 2020), l’École des Ponts ParisTech et l’École vétérinaire d’Alfort, rejointes par 5 partenaires. L’objectif est la reconnaissance au niveau international sur le thème des villes de demain et une expertise sur Santé et société.
  • La Comue heSam Université (Hautes Écoles Sorbonne Arts et Métiers Université, décret n°2015-1065 du 26 août 2015) conserve son statut malgré les retraits et remplacements de plusieurs des membres. Hésam Universitécomporte 21 établissements membres fondateurs et 5 établissements associés et propose des formations sur l’ensemble du territoire national et l’étranger. Son objectif est de conjuguer les compétences des établissements en art, création, sciences sociales, technologie et numérique pour relever les défis de transformations économiques, climatiques, numériques, démographiques et industrielles.

Une Comue muée en association

  • La Comue Sorbonne Université évolue en association en 2018. Sorbonne Université est née de la fusion des universités Paris-Sorbonne et Pierre-et-Marie-Curie et de l’association de cinq autres établissements ainsi que des partenariats avec le CNRS, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria) et l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Son objectif est de développer des projets autour de trois axes : changer les sociétés, les langues et les cultures ; une approche globale de la santé ; des ressources pour une planète durable.

Quatre Comue transformée en EPE

  • La Comue Université Sorbonne Paris Cité se transforme en EPE Université de Paris en 2019 puis en Alliance Sorbonne-Paris-Cité en 2020. Elle comprend l’Université Paris Cité (fusion des universités Paris Descartes et Paris Diderot, associée à l’Institut de physique du globe de Paris, établissement-composante), l’Université Sorbonne Paris Nord, Sciences Po, et l’Inalco, l’Ined, l’Ensa Paris Val de Seine et l’Institut Pasteur. L’objectif de ce regroupement est de s’imposer comme l’un des leaders européens dans le domaine de la Santé et des Sciences de la Terre et de l’Univers.
  • La Comue Université Paris sciences et lettres devient un EPE en 2019. L’Université Paris Sciences et Lettres, fédère 11 établissements-composantes et bénéficie du soutien d’organismes de recherche (CNRS, Inserm et Inria) et de nombreux partenariats. Les établissements sont impliqués dans les sciences, les sciences humaines et sociales, l’ingénierie et les arts.
  • La Comue Université Paris Seine évolue en EPE CY Cergy Paris Université en 2019, puis CY Alliance en 2020. Ce nouvel EPE est coordonné par CY Cergy Paris Université (issue de la fusion de l’Université de Cergy-Pontoise, l’École internationale des sciences du traitement de l’information (EISTI) et de la Comue Paris Seine). L’Institut libre d’éducation physique supérieure (Ileps) et l’Ecole pratique de service social (EPSS) intègrent l’université en tant qu’établissements-composantes. Une dizaine d’établissements dans différents domaines sont partenaires de CY Alliance dont l’objectif est notamment de renforcer le rôle de l’université dans l’innovation durable.
  • La Comue Université Paris-Saclay évolue en EPE en s’associant avec l’Université Paris-Sud en 2019. 5 établissements rejoignent l’Université Paris-Saclay : CentraleSupélec, l’École normale supérieure Paris-Saclay, AgroParisTech, l’Institut d’optique graduate school (IOGS) et l’Institut des hautes études scientifiques (IHES). 6 organismes nationaux de recherche sont associés et participent activement aux programmes de recherches de l’EPE, centrés sur les thématiques Santé & bien-être ; Énergie, climat, environnement, développement durable ; Biodiversité, agriculture et alimentation ; Transformation numérique et intelligence artificielle ; Transport et mobilité ; Aéronautique et espace ; Renouveau industriel.

Deux nouveaux regroupements

  • L’Institut Polytechnique de Paris, créé en 2019, regroupe 5 écoles d’ingénieurs : l’École polytechnique, l’ENSTA Paris, l’ENSAE Paris, Télécom Paris et Télécom Sud Paris, situées sur le plateau de Saclay. Avant 2017, elles étaient intégrées à Paris-Saclay. L’IP de Paris travaille également avec HEC et des organismes de recherches (Inria, Inserm Onera). Son objectif est de répondre aux défis sociétaux et économiques dans des domaines technologiques de pointe.
  • Sorbonne Alliance est créée en 2021. Il s’agit d’une collaboration, sans transfert de compétences, entre l’Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne, l’Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle et l’école de commerce ESCP Europe, établie par convention pour une durée de cinq ans renouvelables. L’objectif affiché est l’expérimentation d’une organisation souple, réactive et modulable qui permette de tisser des partenariats et de s’affirmer dans le domaine des sciences humaines et sociales à l’échelle nationale et européenne.

Quels résultats ?

Difficile de procéder à un bilan de ces regroupements tant les modèles sont différents, et le recul sur la situation insuffisant. Une première étude a été cependant réalisée en mars 2019 sur plusieurs de ces nouvelles structures en régions. Elle constate que : « La fusion s’avère un processus long, fonctionnant par étapes incontournables, où la volonté politique et la détermination doivent faire adhérer la communauté en recherchant, autant que possible, le consensus, et en acceptant parfois certaines concessions pour permettre à la démarche globale d’aboutir. » Elle note néanmoins « la robustesse du modèle et de la dynamique d’ensemble créées ». Les citations aux classements internationaux en 2021 de plusieurs regroupements universitaires semblent aller dans le même sens.

D’un autre côté, des voix s’élèvent pour dénoncer le recul de la démocratie dans la gouvernance de ces regroupements avec les conséquences qui en découlent : les inégalités entre établissements quant à la gestion centralisée des ressources humaines, des moyens et des subventions. Les syndicats de l’enseignement supérieur dénoncent des suppressions de postes et une précarisation du personnel. Les financements accordés se révèlent insuffisants et amputés par les frais de restructuration. Le financement de la recherche par le biais de projets alourdit quant à lui considérablement la charge administrative des chercheuses et chercheurs et soumet le plus souvent leurs recherches à des limitations de durée et des obligations de résultats. Les classements internationaux, utilisés pour apprécier le succès des institutions, privilégient d’ailleurs la recherche dans les sciences dures, au détriment des sciences humaines et sociales et des arts. Enfin, le rapprochement d’établissements publics et privés pose la question du coût des études supérieures, ainsi que du financement et de la neutralité de la recherche scientifique.

Publié le 08/08/2022 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Strater 2022 - Île-de-France | Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, juillet 2022

Ce document est un diagnostic territorial de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, en 2022, sur la région Île-de-France. Il dresse un état des lieux et analyse les chiffres, les tendances, la structuration des acteurs, les forces et faiblesses du dispositif.

La Grande Course des universités

Christine Musselin
Presses de Sciences Po, 2017

Christine Musselin est une sociologue et directrice de recherche au CNRS. Elle travaille sur la gérance des universités.

« Soyez en tête de la compétition mondiale mais coordonnez-vous à l’échelon territorial ! Telle est l’injonction contradictoire adressée aux universités françaises depuis les deux grandes réformes du système d’enseignement supérieur et de recherche initiées en 2000.
D’un côté, l’État organise une compétition généralisée entre enseignants-chercheurs et entre universités. Les financements sur projet de la recherche, la publicisation des évaluations et leur utilisation pour allouer les budgets à la performance, comme les très sélectifs appels à projets gui se sont succédé sans relâche depuis le Grand Emprunt de Nicolas Sarkozy, ont accru les écarts entre établissements et fait voler en éclat le principe sur lequel reposait jusqu’alors, en théorie, le système français : des universités équivalentes sur l’ensemble du territoire.
De l’autre, un remodelage du paysage universitaire est à l’œuvre. Il impose que les grandes écoles, les organismes de recherche et les universités d’une même région coordonnent leurs actions dans le but de rationaliser les coûts et de grimper dans les classements mondiaux. De nouvelles structures sont ainsi créées à marche forcée, sans qu’il soit possible de savoir si ces changements majeurs atteindront leurs objectifs et assureront un avenir radieux à l’enseignement supérieur français. » (Présentation de l’ouvrage)

À consulter à la Bpi, dans la base Cairn

« Les regroupements d’établissements dans l’enseignement supérieur et la recherche : enjeux politiques et cadrage juridique », par Emmanuel-Pie Guiselin | Revue française d'administration publique n° 169, 2019

« Les regroupements dans l’enseignement supérieur et la recherche ont pris une dimension nouvelle depuis la loi Goulard de 2006. Il s’est agi, en effet, pour les pouvoirs publics, de répondre à de forts enjeux politiques (le développement d’une politique de site en premier lieu) en concevant des cadres légaux à même d’accueillir, à une échelle pertinente, universités, écoles et organismes de recherche. Pour les acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche, le choix du type de regroupement, ainsi que son organisation, en fonction de leurs besoins et des outils juridiques, est essentiel : en dépendent la pertinence, l’efficience, et donc la légitimité du regroupement. » (résumé sur Cairn)

« C'est une autre loi dont nous avons besoin » , tribune de Jean-Louis Fournel | Le Monde, 25 avril 2013

Tribune de Jean-Louis Fournel (Professeur à l’université Paris-VIII et ancien président du collectif Sauvons l’université !) en réaction au projet de loi que Mme Fioraso a présenté en conseil des ministres, le mercredi 20 mars 2013.

« L’enjeu est ailleurs : maintenir une recherche libre, capable par exemple de développer une pensée critique sur les évolutions technologiques, si rentables soient-elles, les universités ne doivent pas dépendre des stratégies du monde économique avec lequel elles collaborent. »

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