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Appartient au dossier : 5 déclinaisons du jeu de rôle

Déclinaisons du jeu de rôle #4 : jeux vidéo de rôle

Le jeu vidéo de rôle ou role playing game (RPG) est apparu aux États-Unis sur ordinateur au milieu des années 1970. Dans son fonctionnement de base, le·a joueur·euse se crée un avatar, résout des énigmes et combat des ennemis pour gagner en expérience et avancer dans sa quête principale. Avec l’arrivée des consoles de salon, les jeux gagnent en complexité graphique et scénaristique, renouvelant totalement l’expérience de jeu.
Balises vous présente quelques titres emblématiques à l’occasion du cycle « Jeux de rôle » organisé à la Bpi en 2023.

Capture d’écran d’un jeu de type « dungeon crawler », Legend of Grimrock, édité par Almost Human (2012). Wikimedia Commons, CC BY-SA 3.0

Dans les années 1970, les jeux de rôle sont d’abord textuels. Ils fonctionnent grâce à des téléscripteurs, ordinateurs à bandes magnétiques munis de machines à écrire. Ces jeux s’inspirent d’un programme de simulation de dialogue, nommé Eliza et développé dans les années 1960 au sein du Massachusetts Institute of Technologies (MIT). 

Colossal Cave Adventurede William Crowther (1975) sur un ordinateur PDP-11/34. Wikimedia Commons, CC BY-SA 3.0

Colossal Cave Adventure (1975), créé sur ordinateur par William Crowther, passionné de spéléologie et de l’univers de J. R. R. Tolkien, est un des premiers jeux d’aventure à mettre ce langage en application. Basé dans une grotte peuplée de monstres, le·a joueur·se avance en fournissant des instructions à l’ordinateur qui incarne le « maître du jeu ». Certains codes des jeux sur plateau ou papier sont ainsi repris, par exemple le principe du « tour par tour » employé dans les jeux de guerre sur plateau, comme Tactics (1954) et Waterloo (1962). Par les choix multiples d’aventures qu’il permet, Colossal Cave Adventure marque les débuts de la fiction interactive et se rapproche en cela du concept des « livres dont vous êtes le héros ».

Le RPG américain, entre heroic fantasy et science-fiction

Dnd, d’Aumakua (1975). Domaine public

Avec l’arrivée d’ordinateurs plus performants comme le PDP-10, les jeux de rôle évoluent graphiquement. C’est le cas de l’adaptation du jeu de plateau Donjons et Dragons en 1975. Deux programmateurs, Gary Whisenhunt et Ray Wood, en créent une version interactive grâce au système informatique Plato (Programmed Logic for Automatic Teaching Operations). Dnd fait figure de précurseur dans la conception des différents niveaux avec l’ajout d’une difficulté progressive, d’un boss de fin, mais aussi la possibilité de se créer un avatar avec des attributs propres. Ces éléments seront repris par la suite dans d’autres jeux de rôle développés sur ordinateur comme Oubliette (1977) et Avatar (1979).

La littérature et les films de science-fiction de la fin des années 1970 constituent d’importantes sources d’inspiration pour les jeux de rôles sur ordinateur. Bandits Bandits (Time Bandits, 1981) de Terry Gilliam, a par exemple un impact sur le scénario du jeu Ultima (1981), créée par Richard Garriott. À la même époque, la commercialisation de l’Apple II permet aux jeux de rôles de toucher un plus large public. Certains des jeux développés pour ces ordinateurs gagnent en complexité de narration, comme Wizardry (1981) qui comporte un livret de 50 pages expliquant chaque éléments de jouabilité. Des nouvelles générations d’ordinateurs comme l’Atari ST, le Commodore 64 et l’Amiga font également leur entrée, supportant des jeux de plus en plus puissants. Deux d’entre eux, The Bard’s Tale (1985) et The Might and Magic (1986), proposent des images animées et de multiples fenêtres de jeu qui s’affichent au fil de l’aventure.

Le passage à la 3D

Au Japon, les bornes d’arcades et les consoles de salon font évoluer le genre en termes d’expérience de jeu, de narration et d’ergonomie. Les développeurs proposent alors des jeux hybrides, mélangeant fantasy, science-fiction, aventure et jeu de rôle. Dragon Quest (1986) et Final Fantasy I (1987), créés par Square Enix, réorganisent totalement l’interface de jeu avec des menus à choix multiples, se dévoilant à la demande du·de la joueur·se. Beaucoup plus intuitifs, ils donnent plus de liberté dans les actions du héros ou de l’héroïne. Ces deux sagas possèdent une cohérence esthétique et musicale qui se retrouve d’épisode en épisode. Nobuo Uematsu a par exemple composé les partitions des quinze jeux Final Fantasy sortis à ce jour.

Chrono Trigger, de Square Enix (1995). Via Flickr, CC BY-NC 2.0

Au tournant des années 1990, les jeux de rôles sur console gagnent petit à petit en complexité graphique. Une course effrénée aux pixels, aux polygones mais aussi à la couleur, s’opère, amorçant en cela le passage de la 2D à la 3D. La Playstation sert de support à ces innovations esthétiques. Des jeux comme Chrono Trigger (1995), par leur approche vidéoludique et cinématographique très soignée, influencent profondément l’écriture des développeur·ses. Les joueur·ses se retrouvent immergés dans des univers narratifs denses où les thématiques tragiques côtoient la philosophie, la mythologie et le mysticisme. L’âge d’or est atteint avec Final Fantasy VII (1997), qui révolutionne l’expérience de jeu avec des cinématiques en 3D.

Le renouveau en ligne

L’avènement de l’Internet public permet le développement de jeux multijoueur·se (MMORPG : Massively Multiplayer Online Role Playing Game). Neverwinter Nights (1991), est le premier jeu de rôle 3D en ligne à proposer un éditeur de mondes entièrement contrôlables par les joueur·ses. Iels ont la possibilité de modifier les décors, les évènements et de les partager. Les MMORPG de la première génération tendent ainsi à reproduire l’expérience des jeux de rôles sur plateaux des années 1970, le « maître du jeu » étant remplacé par un storyteller. Avec World of Warcraft (2004), les MMORPG gagnent en popularité, le jeu comptabilisant plus de 10 millions abonné·es à ce jour. L’univers de Warcraft III (2003), repris et enrichi d’une multitude de quêtes, de personnages et d’extensions, permet aux joueur·ses d’avoir accès à d’innombrables expériences de jeu.

World of Warcraft (2004). Via Flickr, CC BY-NC 2.0

La création de jeux vidéo de rôle a subi un net ralentissement au début des années 2000. Le problème tient à sa forme spécifique : un scénario généralement complexe et long, des expériences de jeu variées, des cinématiques régulières et une musique composée sur mesure. Les coûts de production sont ainsi très élevés pour les éditeurs, avec un retour sur investissement moindre. Actuellement, les studios s’orientent vers le développement de jeux sur des consoles portables comme la PS Vita ou la 3DS. Ils rééditent également sur IOS et Android les jeux à succès des années 1980-1990. Pour se renouveler, les jeux vidéo de rôle mélangent désormais les genres, créant ainsi des expériences de jeu plus riches et immersives, à l’image de Nier (2010), qui s’inspire du jeu Zelda, des « livres dont vous êtes le héros » mais aussi des jeux survival horror et shoot-em-up.

Publié le 22/05/2023 - CC BY-SA 4.0

Diablo

David Brevik, Leonard Boyarsky et Ken Williams
Blizzard Entertainment, 1997

Au début de l’univers, apparaît dans le néant originel un être nommé Anu, dont le corps de diamant contient l’intégralité de la création. Son nom est inspiré d’une divinité présente dans les mythologies sumériennes et babyloniennes. Insatisfait, il cherche à atteindre la pureté absolue et se sépare volontairement de tout le mal qu’il a en lui. Il donne ainsi naissance à Tathamet, un dragon à sept têtes. Les deux entités s’affrontent mais ne parviennent pas à se départager. Elles s’annihilent lors d’un ultime choc dont l’impact donne naissance à un lieu dénommé Pandémonium. Dans cet endroit repose une relique, la pierre-Monde, appelée aussi l’œil d’Anu. Les restes des deux créatures engendrent des anges et des démons qui s’affrontent entre les cieux et l’enfer pour obtenir le contrôle de la Pierre-Monde. Diablo, un des sept démons créés, cherche à libérer ses frères Méphisto et Baal et à déverser sur la Terre toutes les créatures de l’enfer.

Diablo utilise les codes classiques du jeu vidéo de rôle. Le·a joueur·euse incarne une des trois classes disponibles : archer·ère, guerrier·ère, sorcier·ère, et part explorer les 16 niveaux d’un donjon. Les monstres à tuer vont des morts-vivants, aux vicieux nocturnes en passant par les démons. Ils sont de plus en plus puissants à mesure de l’avancée de la quête. Pour gagner des compétences et de l’expérience, il est nécessaire d’effectuer le plus de combats possibles et ainsi récupérer de précieux objets lâchés par les ennemis tués. Par sa jouabilité très novatrice, Diablo a marqué l’industrie du jeu vidéo. En effet, il a apporté de nombreuses améliorations dans les jeux de rôle d’action, comme l’utilisation de graphismes 2D et 3D, le mode multijoueur·se et enfin la génération aléatoire des niveaux et des missions, lui conférant une durée infinie.

Baldur's Gate

Josh Sawyer, Chris Avellone, Ray Muzyka, James Ohlen et Kevin Martens
Interplay Entertainment, 1998

En 1965, Ed Greenwood, bibliothécaire, écrit une histoire de fantasy sur des mondes parallèles reliés à la Terre par des portails magiques. Il nomme ce multivers les Royaumes oubliés (Forgotten Realms), en hommage au roman The Wood Beyond the World (1894) de William Morris, dans lequel une forêt de portes sert de passerelles entre des plans d’existence. L’histoire des Royaumes Oubliés se déroule sur la planète Abeir-Toril, et principalement sur le continent de Féérune, où les humains cohabitent avec des divinités et des créatures fantastiques. La Porte de Baldur, ville portuaire et marchande, fondée par des adorateurs du dieu Baldur, sert de lieu d’intrigues à l’univers. Située sur la Côte des Épées, elle est dirigée par un conseil de quatre Grands-Ducs qui la protège de sa rivale, la ville d’Eauprofonde, en faisant appel à un groupe de mercenaires Le Poing Enflammé. 

À partir des années 1980, les Royaumes oubliés deviennent un décor de campagne du jeu de plateau Donjons et Dragons. L’éditeur de jeux vidéo Interplay s’y intéresse et donne son accord, en 1996, à Ray Muzyka et Greg Zeschuk, fondateurs de la société de développement BioWare, pour créer un jeu interactif basé sur les deux univers. Ils le nomment Baldur’s Gate, en référence à l’univers d’Ed Greenwood. L’histoire commence à Château-Suif où un sage, nommé Alaundo, énonce une prophétie stipulant que Bhaal, une divinité maléfique, s’apprête à mourir et va engendrer des descendant·es qui sèmeront le chaos dans le monde. Il est finalement assassiné par Cyric, un voleur, mais envisage de revenir à la vie en organisant le sacrifice de sa progéniture. Lors d’une cérémonie, Gorion, un mage puissant, sauve l’un d’entre elleux et l’adopte afin de l’éduquer et de le préparer à l’éventuel retour de Bhaal.

L’originalité de Baldur’s Gate tient dans la possibilité de se créer un avatar avec des attributs propres (force, dextérité, constitution, sagesse…), une race (humaine, demi-elfe, gnome, nain, elfe), une classe (paladin, clerc, barde, magicien…) et un alignement. Près de 32 personnages annexes peuvent être recruté·es pour faire avancer la quête principale du héros ou de l’héroïne, chacun·e possédant une personnalité et des motivations. Certain·es sont issus d’une campagne d’Advanced Dungeons & Dragons (1993), écrite par James Ohlen, comme le mage conjurateur Edwin, d’autres ont été inventé·es pour le jeu comme le rôdeur Minsc et son hamster Bouh. Des héros légendaires sont également croisables : Drizzt Do’Urden, elfe noir renégat ou Elminster Aumar, un mage âgé de 1 162 ans.

Xenogears

Yasunori Mitsuda, Tetsuya Takahashi, Masato Kato, Hiromichi Tanaka et Yasuyuki Honne
Square, 1998

« Je suis l’alpha et l’oméga, le commencement et la fin, le premier et le dernier. » La cinématique de Xenogears s’ouvre sur le verset 13 de l’Apocalypse selon Saint-Jean. Apparaît alors un gigantesque vaisseau de transport, l’Eldridge, qui navigue dans le cosmos. Un virus informatique, nommé Deus, prend alors le contrôle du système de pilotage, forçant le capitaine à évacuer les passager·ères. Absorbé dans l’atmosphère d’une planète proche, le vaisseau s’effondre, laissant une seule survivante. L’histoire débute en 9 999, dans le petit village de Lahan. Un soir, Fei Fong Wong assiste à un combat de robots en armures. Il s’empare d’un de ces robots mais en perd le contrôle et détruit malencontreusement son village, se retrouvant alors banni par les habitant·es survivant·es.

Sorti en 1998 sur Playstation, Xenogears est graphiquement en avance sur son temps. Les décors polygonaux utilisent principalement la 3D et les personnages sont réalisés en Pixel art. Tetsuya Takahashi, scénariste du jeu, propose une véritable expérience de narration cinématographique avec des cinématiques réalisées par les créateurs du film d’animation Ghost in the Shell (1995). Avec ses motifs empruntés aux folklores irlandais et bulgare, la musique tient également une place prépondérante. Chaque personnage, scène de dialogue et de combat bénéficie d’un leitmotiv musical propre. 

Xenogears convoque de nombreuses références tant à la pop culture, la science-fiction, qu’à la philosophie occidentale, celle de Friedrich Nietzsche mais aussi la psychanalyse de Carl Gustav Jung et la théologie chrétienne et judaïque. Des clins d’œil au film Shining (1980) de Stanley Kubrick et aux Oiseaux (1963) d’Alfred Hitchcock rattachent le jeu au genre horrifique. Un parallèle est aussi fait avec l’univers post-apocalyptique de l’anime Neon Genesis Evangelion (1995), où des adolescent·es doivent contrôler des robots pour repousser des créatures célestes maléfiques.

Kingdom Hearts

Tetsuya Nomura, Yoko Shimomura
Square, 2002

En 1997, le développeur Tetsuya Nomura rencontre l’équipe de direction de Disney pour discuter d’un projet de jeu mélangeant les univers de la saga Final Fantasy et de Disney. Il leur présente le dessin d’un personnage thérianthrope, avec un short, des chaussures montantes et une épée-tronçonneuse. L’idée est refusée et le héros redessiné prend finalement l’allure d’un cartoon, dont l’apparence et les couleurs vestimentaires rappellent celles de Mickey. Il se nomme Sora et détient une clé géante, capable de repousser les ténèbres créées par Ansem, un chercheur maléfique qui utilise des créatures nées de la part obscure du cœur des gens, appelées les Sans-cœur

Kingdom Hearts fait partie de la famille des action-RPG. Il combine les éléments des jeux d’aventure et des jeux d’action. La vue du personnage principal est à la troisième personne et tous ses déplacements se font sur un même plan. Le gameplay rappelle celui de Final Fantasy avec des affrontements en 3D et un système de progression par points d’expérience très poussé. Différents mondes de Disney sont reconnaissables : la ville d’Agrabah d’Aladdin, le pays imaginaire de Peter Pan et aussi l’Atlantica de la petite sirène Ariel. Donald et Dingo sont les deux principaux compagnons de voyage et les protagonistes de Final Fantasy peuvent être rencontrés tout au long de l’aventure.

The Witcher

Konrad Tomaszkiewicz, Damien Monnier et Michał Dobrowolski
CD Projekt, 2007

Dans les années 2000, le studio de développement CD Projekt décide d’adapter en jeu vidéo le roman de fantasy Wiedźmin (1986), et se rapproche de son auteur Andrzej Sapkowski. Son récit met en scène Geralt de Riv, un mercenaire solitaire et amnésique, dernier représentant d’une caste de guerriers professionnels appelés sorceleurs, qui défend la population contre la menace de créatures maléfiques. Il subit un entraînement au cours duquel il ingère des plantes toxiques qui provoquent des mutations génétiques, comme la modification des pupilles et du système immunitaire.

La planète sur laquelle il vit est le résultat d’un phénomène métaphysique chaotique appelé la « conjonction des sphères », qui a entraîné la chute de la civilisation elfe. L’espèce humaine y est dominante, et a créé un empire fait de cités fortifiées, afin de se protéger des autres races et des monstres. De nombreux conflits ont lieu notamment avec les Royaumes du Nord pour le contrôle des territoires mais aussi pour l’accès aux gisements de fer et d’argent. 

The Witcher s’inspire des contes de La Belle et la Bête, des Mille et Une Nuits, mais aussi des mythes et des légendes arthuriennes. Andrzej Sapkowski utilise, comme J. R. R. Tolkien, une langue imaginaire mélangeant le gallois, le suédois et l’irlandais, appelée hen linge (« langue des anciens ») et dont les elfes, les érudit·es et les magicien·nes sont les principaux·ales utilisateur·rices. Le bestiaire créé par l’auteur trouve également son origine dans des cultures diverses. La goule par exemple, monstre nécrophage, provient du folklore arabe dans lequel le mot al-ghoûl signifie ogre. La kikimora est issue du folklore slave et désigne une créature du logis qui se met en colère lorsque la maison n’est pas en ordre. Enfin, le jeu a la particularité de proposer une vision non-manichéenne du monde où l’héroïsme, le bien et le mal sont constamment remis en question. Les personnages disposent d’une morale, mais aussi d’ambitions et de désirs.

Pour aller plus loin

L'histoire du RPG : passés, présents et futurs

Raphaël Lucas
Pix'n love éditions, 2014

Ouvrage très riche et dense retraçant l’histoire des jeux vidéo de rôle, des années 1960 jusqu’à 2010.

À la Bpi, niveau 1, GE JEU L

 

 

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