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Écologie : un sujet trop sérieux pour le jeu vidéo

Petit à petit, le secteur du jeu vidéo intègre les enjeux environnementaux aux trames narratives et aux game design de ses productions. Mais les jeux-vidéo peuvent-ils sensibiliser à la crise écologique tout en restant divertissants ? À l’occasion du festival Press Start 2025, le Centre Pompidou est virtuellement déconstruit dans une version spéciale de Minecraft, retour sur quelques titres phares du jeu-vidéo écolo et sur la portée réelle de ces démarches, entre pédagogie, divertissement et greenwashing ludique.

Si les jeux vidéos permettent de « modéliser des dynamiques écologiques basées sur l’interdépendance et les contraintes, et […] d’explorer de multiples futurs écologiques, qui ne sont pas tous dystopiques », comme l’écrit la chercheuse Alenda Y. Chang, autrice de Playing nature (2019, Minneapolis), ne seraient-ils pas un outil de médiation à privilégier ? Balises fait ici un état des lieux de la portée écologique des jeux vidéo, de la narration au gameplay, de l’accompagnement scientifique aux conseils de spécialistes en jeux vidéo. 

En tant qu’objets culturels, les jeux vidéo sont traversés par les événements qui leur sont contemporains. Très tôt, par exemple, ils s’emparent du fantasme de la conquête spatiale, très tôt aussi, ils sont le reflet d’une vision consumériste des ressources disponibles à l’infini dans l’environnement du jeu. À l’heure des alarmes régulières concernant l’impact du dérèglement climatique sur les modes de vie, les éditeur·rices de jeux vidéo se sont inévitablement confronté·es à la question, et ce, dès les années 1990. Comme le rappellent William Audureau et Corentin Lamy, journalistes au Monde : « Presque du jour au lendemain, les jeux d’action habituellement très innocents se colorent d’inquiétudes environnementales. Ainsi de Sonic the Hedgehog, en 1991. Son scénario initial reprenait la bonne vieille ficelle de la princesse à sauver. Mais sous l’influence de deux de ses dirigeantes, Diane Fornasier et Michealene Cristini Risley, le studio Sega of America redirige le scénario vers un thème écologique : la protection des animaux. » Néanmoins rapidement, comme le montre le cas d’école  Final Fantasy VII  (1997 et 2024, Square) le simple ressort narratif a ses limites quant à la sensibilisation aux enjeux écologiques. Il y aurait des mécaniques de game design tout autant exploitables et plus singulières à ce média.

Oxygen not included (2017, Klei entertainment) jeu de simulation de conquête spatiale, a la particularité de pénaliser le joueur ou la joueuse qui ne gère pas les déchets qu’il ou elle produit des ressources récupérées. Ce jeu prend le contrepied d’un univers aux butins illimités pour faire prendre conscience de cette illusion erronée. Maîtriser les richesses disponibles ainsi que leurs limites est un levier de game design presque indispensable à prendre en compte pour avoir une portée écologique. Dans un autre jeu du studio canadien Klei, Don’t Starve (2013), le joueur ou la joueuse est poursuivi·e par l’esprit de la forêt si trop de bois est coupé.

Trailer de Oxygen not included

Don’t Starve est aussi remarquable pour les « biomes » décrits comme « un environnement ou un habitat pour les créatures du jeu, trouvées dans le monde du jeu, dont chacun est généralement constitué d’un seul type de terrain ». Bien que tout jeu vidéo développe un univers propre, dont la carte est plus ou moins extensible. Ainsi les jeux d’aventure Red Dead Redemption (2010, Rockstar games) ou Abzu (2016, 505 games) accordent, dans deux esthétiques très différentes, l’une western, l’autre océanique, une part importante au réalisme de l’environnement et à la possibilité de les parcourir librement. Toutefois, ces jeux exposent la nature au sens nord-américain et culturellement marqué de wilderness, c’est-à-dire une nature sauvage, sanctuarisée, parfois imprégnée de religiosité et de spiritualité.

Une autre approche récurrente est celle de la reconstruction telle qu’elle est exploitée par exemple dans le jeu de gestion-puzzle Terra Nil (2023, Devolver Digital) ou celui de plateforme-puzzle indépendant Plasticity (2019, Plasticity game) où les joueur·euses sont confronté·es à un milieu hostile qu’ils ou elles doivent réparer. Dans Terra Nil , les causes de cette terre dévastée ne sont pas révélées. Le jeu débute par l’implantation d’éoliennes sur un terrain. L’objectif est de progressivement rétablir des écosystèmes sur des zones géographiques afin d’observer la vie animale qui reprend sa place. Dans Plasticity, le joueur ou la joueuse incarne Noa qui, en 2140, vit sur la Terre détruite par la surproduction de plastique. À partir d’énigmes, il faut faire des choix qui auront un impact sur le monde dans lequel vit l’héroïne.

Trailer de Plasticity

Les exemples ci-dessus, figurant pour certains dans le « top 5 des jeux vidéo écolos » établit par Mouv’ – Radio France, ont des approches tout à fait intéressantes et pertinentes. Néanmoins, ils s’appuient généralement sur des éléments de scénario ou de gameplay limités. Ils portent, par conséquent, un discours en deçà des réelles contraintes écologiques qui pèsent sur notre planète. Il semblerait que l’association du divertissement et de l’éducation n’ait pas encore trouvé son terrain d’entente.

À la frontière des serious game, des éditeur·rices qui souhaitent avoir un discours écologique fondé n’ont d’autre choix que de s’associer avec des spécialistes afin d’intégrer dans le gameplay ou la narration une certaine rigueur scientifique. Ainsi, Roots of Tomorrow (2022, Gamabilis) ou Ice flow (2016, In House Visuals / University of Exeter) ont été créés avec des chercheur·euses respectivement en agriculture et glaciologie. Dans un entretien avec Balises en 2021, Elise Gabassi, la responsable marketing de Gamabilis préfère parler de « jeux à impact » pour se distinguer du caractère diligent des serious games qui « ont un objectif éducatif explicite et mûrement réfléchi et ne sont pas destinés à être utilisés principalement à des fins de divertissement », comme le souligne Clark C. Abt, considéré comme l’inventeur du terme dans les années 1970.

Trailer de Roots of tomorrow

Lors de la conférence Le Jeu vidéo au cœur du combat écologique du festival Press Start de 2021, Thomas Planques, cofondateur de Game Impact, invoque l’écrivain Arthur Keller, qui s’intéresse à la résilience écologique via le storytelling, pour reprendre sa notion d’espoirs lucides. C’est-à-dire la capacité à donner des perspectives tout en gardant des représentations fidèles de mécanismes socio-économiques et politiques. Thomas Planque souligne la force des auteur·rices comme Ursula Le Guin, Alain Damasio ou Hayao Miyazaki dans leur capacité à insuffler l’urgence et la possibilité d’agir, qui ne se retrouve pas assez dans le jeu vidéo. Les chercheuses Gabrielle Trépanier-Jobin, Maeva Charre-Tchang et Sylvie Largeaud-Ortega s’appuient, quant à elles, sur les dix critères de conscientisation du pédagogue Paolo Freire pour envisager comment les jeux vidéo pourraient avoir un réel impact sur la société.

Les étudiant·es du Master sciences et société de l’Université de Strasbourg ont rédigé en 2024 un Manifeste pour un imaginaire écologique dans les jeux vidéo dans lequel ils et elles s’opposent de leur côté à la création de jeux vidéo qui « intentionnellement ou non, contaminent les imaginaires écologiques, en modulant et encourageant des actions et des modes de pensées anti-écologiques » :

« En priorité, nous pensons qu’il n’est simplement pas acceptable qu’il y ait dans les jeux vidéo des éléments amenant à avoir un impact nuisible ou qui reproduisent et entretiennent une culture délétère pour l’environnement. Nous dénonçons en outre la manière de prendre du plaisir ou de représenter comme normal et inoffensif le fait de détruire et d’exploiter sans limites des ressources issues d’un environnement. »

Cela reviendrait plutôt à pointer les jeux problématiques que de critiquer ceux qui font encore un effort, même partiel, de sensibilisation. 

Malgré leur capacité à allier émotionnel et affectif, narration et simulation, les jeux vidéo n’exploitent pas encore tout le potentiel à leur disposition pour permettre une réelle association entre loisir et prise de conscience écoresponsable. Néanmoins, dans cette crise qui concerne tout un chacun, des voix s’élèvent, force de propositions d’outils d’analyse.

Publié le 10/11/2025 - CC BY-SA 4.0

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Start ! La grande histoire des jeux vidéo

Erwan Cario
Éditions de La Martinière, 2016

Histoire du jeu vidéo, des origines à 2015, à travers les images des jeux ou personnages qui ont fait date, de Pac-Man à World of Warcraft en passant par Mario, Tomb Raider, les Sims, GTA, Rayman, The Walking Dead, etc. L’auteur retrace son évolution esthétique, des simples pixels aux représentations réalistes des productions modernes. © Électre 2016

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Générations Sonic. L'élégance d'un hérisson bleu

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Third éditions, 2018

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