Série

Appartient au dossier : Le cri du peuple

Histoire d’un slogan #5 : « We have 513 days left »

En avril 2022, les expert·es de l’évolution du climat des Nations unies, rassemblé·es au sein du GIEC, annoncent que les moyens mis en œuvre par les États sont insuffisants pour satisfaire l’objectif de maintenir le réchauffement climatique à 2° C à l’horizon 2100. En réaction, les actions des militant·es écologistes se multiplient et un décompte est affiché : « We have 1028 jours » ou « Il nous reste 1028 jours ». Balises revient sur la naissance de ce slogan pour accompagner le cycle « Écrire les luttes », organisé par la Bpi à l’automne 2023.

un militant de Dernière rénovation opérant un sit-in sur l'autoroute. Il porte un t-shirt marqué : We have 858 days left, et un gilet orange
Blocage de la M7 à Lyon par le collectif Dernière rénovation, le 18 novembre 2022. Avec l’aimable autorisation de Dernière rénovation.

Un nouveau mouvement de résistance civile

En juin 2022, une activiste d’un mouvement écologiste fait irruption sur le terrain de tennis lors de la demi-finale à Roland-Garros et s’attache au filet. Sur son t-shirt blanc, une inscription au marqueur noir : « We have 1028 days left » (« Il nous reste 1028 jours »). Elle est membre d’un collectif fraîchement créé, Dernière rénovation, composé d’une poignée de militant·es déterminé·es qui prônent la résistance civile non-violente.

Ces militant·es prennent tous les risques pour dénoncer l’inaction du gouvernement français et sensibiliser le public et les médias à l’urgence climatique. Iels appellent les pouvoirs publics à prendre des décisions concrètes rapidement. Leur mode d’action consiste principalement à interrompre des manifestations fortement médiatisées – le tournoi de Roland-Garros, le Tour de France, le Salon de l’agriculture, la cérémonie de remise des Césars… –  ou à investir les axes routiers à fort trafic pour les bloquer. Leurs actions s’accompagnent parfois de techniques novatrices, comme le collage de mains, la peinture orange et le jet de produits sur des œuvres d’art, qui affolent les médias.

Iels sont reconnaissables à leurs gilets fluorescents très visibles, de couleur orange pour les distinguer du mouvement des Gilets jaunes, et au slogan « We have x days », qui décompte les jours.

Un décompte

Le nombre de jours indiqué dans le slogan s’inspire d’une déclaration d’un conseiller scientifique du gouvernement britannique. « Sir David King a dit en 2021 que selon lui, il ne restait que trois à quatre ans pour agir. Si nous attendons, nous allons entrer dans une zone d’incertitude. L’emballement des événements fera que nous n’aurons plus le contrôle de la température et nous courrons un risque de bascule climatique irréversible », explique Thibaut, l’un des fondateurs du collectif. Les nombreuses temporalités évoquées dans les discours politiques sur la lutte contre le changement climatique entretiennent un flou sur les délais, faisant du temps une variable d’ajustement. Le choix d’un décompte comme slogan permet de réintroduire l’urgence climatique : « Nous avons donc pris ce chiffre de trois ans et nous l’avons converti en jours. C’est une unité palpable. Chaque jour qui passe ajoute à l’inaction. Chaque jour est donc précieux. » Cette date butoir n’est ni détaillée ni argumentée dans le slogan, mais cette simplification est nécessaire pour faire passer le message de l’urgence à agir.

Cette échéance sur trois ans a été largement commentée dans les médias lors de la sortie du troisième volet du sixième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) établi par l’Organisation des Nations unies (ONU). À la suite de cette parution, l’Agence France-Presse (AFP) a publié, le 4 avril 2022, une dépêche titrée : « Climat : les émissions doivent plafonner d’ici trois ans pour que le monde reste “vivable”, prévient l’ONU ». Christophe Cassou, un des auteurs du rapport du GIEC, a qualifié cette formulation en compte à rebours de « maladroite ». En effet, les expert·es souhaitaient avant tout mettre en avant des solutions possibles pour atteindre les objectifs fixés. De nombreux articles publiés en avril 2022 ont également mentionné l’aspect contre-productif du catastrophisme induit par ce décompte sur trois ans.

Pourtant, le catastrophisme se retrouve dans de nombreux combats écologistes, comme l’a exposé le politiste Luc Semal :

« Loin d’être nécessairement écrasante et démobilisatrice, cette perspective [catastrophiste] fait partie intégrante des théories et mobilisations écologistes depuis un demi-siècle. Et loin de déboucher nécessairement sur une rhétorique sacrificielle au nom de l’urgence et de la survie, elle peut constituer un aiguillon démocratique pour aider un collectif à réagencer ses théories, ses pratiques et ses projets politiques dans un sens plus compatible avec la réalité du contexte écologique et matériel qui s’annonce. »

Face à l’effondrement. Militer à l’ombre des catastrophes, Luc Semal, PUF, 2019

Cette notion de décompte, ou de limite, n’est pas nouvelle dans les combats menés pour sauver le monde. Une horloge de l’apocalypse est imaginée en 1947 par des scientifiques pour sensibiliser au danger de l’arme nucléaire. Elle est mise à jour régulièrement et affiche 23 heures 58 minutes et 30 secondes en 2023, minuit marquant la fin du monde. Un comité de scientifiques a défini en 2009 neuf limites planétaires et mesuré les changements de neuf grands processus du système climatique. Six de ces limites ont déjà été atteintes, dont celle liée à l’eau douce en 2023. Les climatologues ont identifié des points de bascule du climat, au-delà desquels le changement se poursuivrait même si le réchauffement était stoppé ou freiné ultérieurement. Ils sont au nombre de seize en 2022 et certains sont déjà atteints avec le réchauffement climatique de 1°C. Toutes ces observations et prévisions comportent une part d’incertitude, mais s’étoffent et composent un tableau inquiétant qui plaide pour l’action.

Une revendication

Le collectif Dernière rénovation est membre du Réseau A22, constitué en avril 2022. Appartenir à un tel réseau international apporte un soutien financier et logistique, et favorise le partage des expériences. De plus, cela confère une certaine universalité au combat de ses membres, en montrant que celui-ci a lieu en dehors des frontières d’un seul pays et concerne le monde entier.

Chacun des collectifs membres porte une unique demande qui doit être précise et claire. Selon Thibaut, le cofondateur de Dernière rénovation, les choix des pouvoirs publics en matière de transition écologique opposent souvent justice sociale et protection de l’environnement. L’action de ce collectif s’est donc portée sur un sujet qui concilie ces deux aspects : la rénovation des bâtiments. En effet, agir sur les passoires thermiques peut permettre aux plus démuni·es de réaliser des économies et d’être mieux logé·es, tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre ? Cet énorme chantier peut créer également de nombreux emplois. « Si on n’est pas capable d’agir sur un sujet aussi consensuel, il n’y a aucune chance qu’on arrive à faire avancer tout le reste. On s’est dit qu’il fallait commencer par là », résume ce représentant du collectif.

Publié le 30/10/2023 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Le site officiel de Dernière rénovation

Sur ce site, qui présente le collectif et ses ambitions, s’affiche le décompte des jours restant pour agir. En octobre 2023, il reste un peu plus de 500 jours.

Justice pour le climat ! Les Nouvelles Formes de mobilisation citoyenne

Judith Rochfeld
Odile Jacob, 2019

L’ouvrage retrace les temps forts de la gouvernance internationale de l’action pour le climat et ses échecs… Devant l’urgence à agir pour limiter le réchauffement climatique, des citoyen·nes intentent des procès aux États pour les pousser à agir. L’autrice présente et analyse cette forme inédite de mobilisation.

« Aux côtés d’autres mobilisations et modes d’action, les procès climatiques montrent une certaine efficacité. Celle du dernier espoir, de la dernière chambre d’écho. Ils déclenchent la conscientisation des populations ; ils provoquent des changements d’agenda des gouvernements ; ils rencontrent parfois la compréhension et la volonté de juges décidés à prendre au sérieux l’urgence de la situation et d’y apporter des réponses en termes de contraintes et d’exigences envers les États ou les entreprises ; […] Mais ces procès ont leur limite : la reterritorialisation des débats sur laquelle ils reposent laisse en dehors du spectre de la pression certains des grands acteurs clés de l’atteinte au système climatique ; chez eux, ils ne s’y déroulent pas. »

À la Bpi, niveau 3, 336.22 ROC et sur Cairn.info

Face à l'effondrement : militer à l'ombre des catastrophes

Luc Semal
PUF, 2019

Un essai dédié aux mobilisations écologistes pour prévenir l’effondrement des sociétés. Face à la quasi-certitude d’un cataclysme écologique, l’ouvrage revient sur les attitudes catastrophistes et au rôle d’aiguillon démocratique qu’elles pourraient paradoxalement jouer dans la mobilisation en faveur de la préservation de la nature. ©Electre 2019

32.62 SEM

Les Combats pour la nature : de la protection de la nature au progrès social

Valérie Chansigaud
Buchet Chastel, DL 2018

Valérie Chansigaud est historienne des sciences et de l’environnement. Elle examine les mouvements en faveur de la nature qui se sont succédés depuis le 18e siècle dans les pays occidentaux sous l’angle des finalités des combats. En effet, les mouvements de défense de la nature sont protéiformes mais présentent un point commun, celui de construire un monde meilleur. Ils placent le progrès social au cœur de leurs préoccupations.

À la Bpi, niveau 2, 32.62 CHA

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